- Bonjour. Tout d’abord, merci d’avoir accepté cet échange. Pourriez-vous dans un premier temps vous présenter ainsi que votre parcours ?
Je m’appelle Claire, j’ai 29 ans. J’ai été diplômée d’un Baccalauréat Scientifique. J’ai ensuite fait une classe préparatoire en BCPST (biologie, chimie, physique et sciences de la Terre). J’ai passé deux ans en France avant de partir à l’étranger pour poursuivre mes études. J’ai fait 5 ans dans une université internationale en Espagne pour préparer le diplôme de vétérinaire, que j’ai obtenu en 2020. Après cela, j’ai fait une année d’internat rotatoire pour faire des urgences. Il s’agissait principalement de gardes de nuit, de jours fériés et de weekends. Le reste de la semaine, en journée, nous étions en rotation dans les différents services pour se former davantage post-diplôme.
Je suis ensuite partie dans un centre de référés qui faisait aussi sa clientèle. C’était donc une très grosse clinique. Le référé, c’est lorsque des cliniques n’ont pas l’équipement nécessaire pour réaliser des examens complémentaires sur un cas, et nous les réfèrent ainsi pour qu’on prenne le relai jusqu’à pouvoir poser un diagnostic et traiter l’animal. La plupart du temps, ils repartent ensuite chez leur vétérinaire traitant. C’était un gros rythme et finalement, je ne m’y retrouvais pas car j’aime pouvoir faire le suivi de mes patients. Et j’étais aussi loin de ma famille et de mes amis. J’ai donc décidé de quitter cet emploi pour retourner dans le sud et être vétérinaire traitante afin de pouvoir gérer mes propres cas.
Aujourd’hui, je suis clinicienne, je suis mes patients de A à Z et cela me convient mieux, même au niveau du rythme. Il reste soutenu mais j’ai un meilleur équilibre entre ma vie privée et ma vie professionnelle.
- Aviez-vous mesuré l’engagement que votre stage allait nécessiter lorsque vous vous êtes lancée ? Vos proches ont-ils un avis sur votre « style de vie » actuel ?
Honnêtement, je pense que la plupart des étudiants en véto pensent comme moi. Au départ, quand on se lance, on ne s’attend pas du tout à ce que notre rythme de vie change à ce point. Le métier de vétérinaire est un peu le métier idéalisé. Quand on nous demande enfant ce qu’on souhaite faire plus tard, ce poste revient très souvent. Cela a été beaucoup d’investissement, notamment de temps et d’argent. Et quand on fait de longues études – 8 ans pour ma part, il faut pouvoir assumer de vivre.
Quand on commence à travailler, on ne s’attend pas à ce que cela soit aussi prenant et que notre vie soit aussi mouvementée. Avant de débuter, on idéalise un métier avec un quotidien sans routine et des journées qui ne se ressembleront pas ! Mais il faut aussi voir l’envers du décor. On fait des journées de 8h à 19h minimum, sans compter les gardes. On a parfois la chance de tomber dans des cliniques où on tourne pas mal. Ici, nous sommes quatre cliniciens ; on ne fait donc qu’une semaine de garde par mois. Cela veut dire que pendant une semaine, on travaille la journée et on peut également être sollicité la nuit, avant d’enchainer de nouveau le lendemain matin. Et pour le weekend, on peut bosser 36h d’affilée. Je pense que c’est un peu tout le temps comme ça dans les métiers de la santé.
Cela se répercute sur la vie privée, comme je n’ai pas tous mes weekends de libre : soit je suis de garde, soit je travaille le samedi. Personnellement, je n’ai pas encore d’enfant, j’arrive donc à plutôt bien gérer. Mais je pense qu’il faut avoir un conjoint qui vous soutienne !
Globalement, on apprend vite à gérer et à s’organiser pour trouver un équilibre. A plusieurs, on fait en sorte d’arranger tout le monde pour ne pas être surmené. Après, il faut aussi savoir qu’on a des animaux qui peuvent être hospitalisés et que même lorsqu’on ne travaille pas, il arrive souvent qu’on soit contacté pour une question ou autre. Il faut toujours être joignable.
En ce qui concerne mes proches, ils se rendent compte que mon métier est très prenant, d’autant plus depuis que je suis revenue dans le sud. Quand je suis dérangée en pleine nuit et que je dois quitter le domicile, ils voient bien que c’est un rythme de travail qui n’est pas banal ! Après, je reste très souvent à la clinique quand je suis de garde le weekend, du matin au lundi soir, car faire des allers-retours est aussi très fatigant.
Et le jour où nous aurons des enfants, mon conjoint sait que parfois, il devra gérer des weekends entiers seul. Par exemple, mes deux patrons sont tous les deux en couple avec d’autres vétérinaires. L’avantage, c’est qu’ils ont chacun leur propre structure ; ils peuvent donc s’organiser pour ne pas avoir les mêmes jours de garde. Mais cela veut aussi dire qu’ils se voient moins.
Et j’ai l’impression que les jeunes aujourd’hui recherchent encore plus cet équilibre vie professionnelle / vie personnelle, en comparaison aux vétérinaires des générations précédentes qui sont habitués à des rythmes de vie 100% boulot. Avant, c’était assez courant de voir un couple travailler dans la même structure, aujourd’hui c’est beaucoup plus rare. Cela permet une facilité dans l’organisation, mais aussi de ne pas penser et parler boulot sans arrêt.
- Quelle est pour vous la part de sacrifice et la part de plaisir dans l’exercice de votre profession ?
J’aime particulièrement les animaux, j’ai donc la chance d’avoir un métier qui me permet d’en voir toute la journée. Et maintenant que je suis clinicienne, je vois aussi mes patients pour de simples vaccins, des petits bobos, etc. Dans ces cas de figure, ils sont en bonne santé et cela me permet d’avoir des consultations « joyeuses », des câlins et des clients de bonne humeur. Cela me change énormément du temps où je travaillais en clinique de référés avec des cas toujours relativement graves. Ce sont des bons moments et surtout des moments reposants car on réfléchit moins, on parle de tout et de rien. Aussi, aucune journée ne se ressemble. On ne sait jamais à quelle sauce on va être mangé ! Je ne me voyais pas faire un métier avec les mêmes tâches quotidiennes. Je préfère avoir une journée un peu mystère, même si je vais être sous l’eau. Il est difficile de se lasser de ce métier. C’est un peu comme une enquête qu’on mène jusqu’à obtenir un diagnostic. Quand ça marche et que l’animal répond bien au traitement, c’est très gratifiant.
Malheureusement, on ne peut pas oublier les procédures de fin de vie… Cela reste une partie très compliquée du métier. On peut croire qu’on finit par se désensibiliser avec le temps : oui et non. Oui car on peut être amené à euthanasier un animal pour lequel on ne peut plus rien. Mais on est humain et cela reste difficile, surtout quand on a à peine une minute pour souffler avant de passer à la consultation suivante. Mais on sait aussi qu’on en sauve beaucoup d’autres. Cela s’équilibre.
Nous devons aussi gérer la clientèle. On pourrait croire que le premier patient, c’est l’animal, mais le propriétaire est toujours entre nous. Il y a des clients très durs et exigeants qui s’attendent automatiquement à des résultats s’ils mettent l’argent. Malheureusement, nous n’avons aucune garantie. C’est un métier de santé, et les animaux ne peuvent même pas nous dire ce qui ne va pas.
A l’inverse, il y a les clients qui ne peuvent pas payer. Et on ne peut pas se permettre de travailler gratuitement. On n’a alors pas les moyens d’investiguer.
Enfin, il y a les sacrifices liés à ma vie privée comme je travaille énormément. Même si j’ai des soirées de libre, après 10 ou 11 heures de travail, j’ai souvent envie de ne rien faire. Parfois, je me force à sortir, à faire des activités pour justement avoir ce sentiment d’avoir une vie privée après le travail.
- Où puisez-vous toute l’énergie nécessaire pour tenir votre rythme ?
Est-ce une cadence que vous pensez pouvoir maintenir toute votre carrière ?
Je puise l’énergie dans la satisfaction que je peux avoir quand je soigne un animal. Je me dis que je ne fais pas ça pour rien, et ça du bien de voir la santé d’un animal s’améliorer grâce à nous. Malheureusement, il y a aussi l’autre versant lorsqu’on met toute notre énergie à tenter de sauver un patient, mais que cela finit quand même mal. C’est très frustrant.
Selon moi, quand on fait ce genre de métiers très prenants, il faut avoir des activités à côté qui n’ont rien à voir : faire du sport, partir en weekend, se faire un restaurant de temps en temps… Pour ma part, je fais du crochet. Cela me vide la tête et je pense que cela permet aussi de tenir le cap. Il faut un truc pour vraiment déconnecter. Certains de mes amis vétérinaires font de l’escalade, et ils consacrent un soir de leur semaine à cette activité. Ce sera donc à un confrère de faire la garde car il faut aussi que cela devienne une priorité.
Et pour travailler jusqu’à au moins 64 ans, il faut trouver un bon équilibre : du temps pour le travail et du temps pour soi et ses proches.
Au niveau de la cadence, c’est vraiment difficile de prédire. Je connais des vétérinaires qui ont quelques années d’expérience et qui se sont rendu compte que le rythme ne leur convenait pas du tout. Comme beaucoup, ils ont idéalisé le métier et se retrouvent aujourd’hui à travailler pour des laboratoires. Donc personnellement, je ne sais pas si je pourrai tenir cette cadence jusqu’à la fin de ma carrière, d’autant qu’on ne sait pas à quel âge la retraite sera fixée pour nous. Mais je me vois bien faire ce métier toute ma vie !
- Enfin, que pensez-vous du « les jeunes ne font plus rien » ? Avez-vous aujourd’hui conscience que vous êtes à contre-courant ?
Dans un premier temps, comme je l’ai dit avant, j’ai le sentiment que nous sommes une génération qui se rend réellement compte de l’importance de l’équilibre vie pro/vie perso. Nous allons être contraints de travailler jusqu’à un âge très certainement bien avancé, donc si on ne prend pas soin de cet équilibre maintenant, cela me parait compliqué pour la suite. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut en faire une généralité. On veut simplement travailler dans les bonnes conditions pour arriver à tenir longtemps.
Alors peut-être que cette prise de conscience donne une mauvaise image du jeune, mais je ne suis pas d’accord avec ce constat. Il y a certainement une minorité qui effectivement ne fait rien, mais ce n’est pas propre à notre génération. Il faut à mon sens voir cela comme une adaptation aux conditions actuelles comme l’âge de la retraite qui ne fait que reculer.
Du coup, je n’ai pas cette sensation d’être à contre-courant. Déjà, je suis entourée de personnes qui sont vétérinaires ou qui ont des emplois prenants. Beaucoup de mes amis ont fait des prêts et se sont endettés pour faire des études, donc je n’ai pas du tout l’impression de faire partie d’une génération qui ne veut pas travailler.
A mon sens, les réseaux sociaux jouent également sur cette perception. Je pense aux interviews d’enfants qui répondent « Tiktoker, Youtubeur » quand on leur demande ce qu’ils veulent faire plus tard. Personnellement, je ne peux pas juger car je ne connais rien aux métiers d’influence, je ne sais pas le travail qu’il y a derrière. Je pense aussi que les aspirations ont évolué et que les générations précédentes n’ont pas forcément les clés pour comprendre cela.
Je fais le parallèle avec les idées préconçues sur le salaire des vétérinaires. Je ne compte plus le nombre de fois où on m’a dit que je devais très bien gagner ma vie. Oui, je gagne correctement ma vie mais parce que je fais aussi beaucoup plus d’heures en contrepartie.
Leave a Reply