Interview : Paul, étudiant en finance

  • Bonjour. Tout d’abord, merci d’avoir accepté cet échange. Pourriez-vous dans un premier temps vous présenter ainsi que votre parcours ?
    Je m’appelle Paul*, j’ai 22 ans et je suis étudiant en école de commerce. J’ai un parcours assez classique : j’ai fait une prépa ECS dans un grand lycée parisien avant d’intégrer une Grande Ecole Parisienne du Top 3 en 2021. Depuis septembre, je suis en année de césure. L’idée, c’est de tester en faisant des stages pour choisir notre master. J’ai décidé pour ma part d’explorer le secteur de la finance. Je ne savais pas vers quoi me tourner, j’ai donc contacté des personnes de mon réseau pour les sonder sur leur métier. Et après deux années d’école, je manquais de stimulation. Je me suis par ailleurs blessé en seconde année donc je n’avais même plus le sport pour compléter mes journées. J’ai alors décroché un premier stage de six mois en fusion-acquisition dans une grande banque française. J’ai préféré me diriger vers une banque plutôt que dans le pôle financier d’une entreprise pour avoir le côté conseil et analytique.
    Mon premier stage s’est bien passé et j’ai énormément appris. Autant concrètement sur la finance (process M&A, comment on vend/achète une entreprise, quels sont les types d’opérations qu’on peut faire dans ces métiers-ci) que sur le fonctionnement d’une société en tant que stagiaire. Je voyais vraiment cette première expérience comme une découverte sur ces deux plans-là, ainsi que sur la prise en main des différents outils, des bases de données, etc. Ce n’est pas un secret, les stagiaires sont très souvent au bout de la chaîne et se voient attribuer les tâches chronophages que les autres ne veulent pas faire. Cela plait ou pas ; j’ai pour ma part une certaine résilience et j’accepte ce fonctionnement. J’admets, il y a pas mal de contraintes, comme terminer tard en banque et pour des tâches qui ne sont pas toujours très intéressantes. Mais j’arrive à me détacher de ce constat car j’ai appris beaucoup, ma césure se passe bien et dans des équipes bienveillantes.
    Aujourd’hui, j’en suis à mon second stage de l’année, toujours en fusion-acquisition.
  • Aviez-vous mesuré l’engagement que votre stage allait nécessiter lorsque vous vous êtes lancé ? Vos proches ont-ils un avis sur votre « style de vie » actuel ?
    Sur le niveau d’engagement, et notamment pour mon premier stage, je ne pensais honnêtement pas faire autant d’heures. Je terminais assez tard (22h en général).
    En débutant mon second stage, je savais que j’allais faire de gros horaires. J’avais peur de perdre ma motivation sur le long terme mais aussi de ne pas pouvoir tenir le coup physiquement. Je suis quelqu’un qui a besoin de beaucoup dormir et je n’avais pas envie de lutter chaque jour devant mon ordinateur sans être capable de réfléchir correctement. Malgré ces doutes, je me suis préparé à m’investir à fond dans cette courte expérience. J’ai démarré en me disant de profiter pleinement de cette opportunité pour voir si c’est un rythme et un secteur qui m’apportent ou pas. Je me suis dit qu’au besoin, ce serait aussi à moi d’apprendre à poser mes limites. Je pense que dans le monde de l’entreprise, c’est aussi un apprentissage très utile que de savoir dire non.
    Pour le moment, cela se passe plutôt bien, j’arrive à gérer mon temps et je ne finis pas si tard que cela. Les cases sont cochées et le défi se déroule bien !
    Quant à mes proches, j’ai des retours du type « mais ce n’est pas une vie ! ». Il faut savoir qu’en moyenne, je termine à 1h du matin, en commençant à 9h30. Mais c’est très variable. Je peux sortir à 22h comme à 3h ou 4h du matin. Je finis très rarement aussi tard car je préfère venir plus tôt et prendre moins de pauses mais c’est au choix de chacun. Au quotidien, ce sont beaucoup d’éléments à rendre avec des deadlines assez courtes. Le temps est donc précieux et il faut savoir l’aménager en conséquence.
    Mais effectivement, certains de mes proches se disent qu’il n’est pas possible de faire ça toute une vie et ne comprennent pas le sens de faire autant d’heures. Et il est certain qu’actuellement, toute l’énergie que j’ai, je la mets dans ce stage. Ma vie sociale en est très impactée : la semaine, je suis quasi injoignable, et le weekend, j’essaye de tout condenser en peu de temps. Si j’ai un proche qui a un souci dans la semaine, je ne peux pas vraiment me montrer présent. C’est surtout cette partie de ma vie actuelle que j’ai du mal à gérer.
    Après, ce n’est pas un jugement mais des remarques bienveillantes. Ils me connaissent et savent que je suis quelqu’un qui aime avoir le contrôle sur les choses. Tout donner dans mon travail n’est pas naturel pour moi, j’essaye donc de me dégager des petits moments en faisant du sport au moins deux fois par semaine. Cela me permet de ne pas m’effacer totalement et c’est ce que mes proches craignent le plus : me voir happé par le travail, sachant en plus que dans ce métier, on peut nous solliciter 24h sur 24.
  • Quelle est pour vous la part de sacrifice et la part de plaisir dans l’exercice de votre profession ?
    Je dirais que la part de sacrifice réside principalement dans le manque de temps pour soi. C’est cet aspect du quotidien qui pour moi coince. J’ai besoin de temps pour le sport, voir mes proches, aller au cinéma, lire, etc. Je l’accepte dans une certaine mesure, et cela ne me pose pas de problème sur un temps court comme ce stage. Mais quand je suis fatigué, je réalise que je ne fais pas un travail qui va changer le monde. Je suis content car c’est très stimulant et que j’apprends beaucoup. Mais une fois que tout est acquis, je pense que ce sont des processus assez répétitifs et qu’on finit par s’ennuyer. Et j’ai besoin de me développer personnellement.
    Et pour la part de plaisir, comme je l’ai dit, j’aime et j’ai besoin d’être stimulé, ça va vite et c’est super car ma plus grande peur dans la vie, c’est m’ennuyer. Et aujourd’hui, je peux clairement dire que ce n’est pas le cas. Je préfère cela au vide, cela me rassure. Je déteste avoir le sentiment de perdre mon temps. J’ai besoin de cette intensité pour éprouver une certaine forme de plaisir.
    C’est drôle car je fonctionne comme ma mère. Nous avons besoin de cela pour être heureux. Même si personnellement, je suis une personne stressée, m’investir totalement dans un projet me plait énormément. Ce qui est plus dur, c’est de mettre des limites et de ne pas se perdre là-dedans non plus.
  • Où puisez-vous toute l’énergie nécessaire pour tenir votre rythme ?
    Est-ce une cadence que vous pensez pouvoir maintenir toute votre carrière ?

    Je suis quelqu’un qui a beaucoup d’énergie à donner, je me dépense beaucoup, j’aime avoir un agenda bien rempli ! Aujourd’hui, je commence cependant à être un peu en mode survie – j’optimise mes journées pour pouvoir dormir un maximum ; quand je rentre, je regarde combien d’heures je vais pouvoir me reposer. C’est un peu comme en Formule 1 où je rentre au stand et je repars presque aussitôt ! En semaine, j’essaye de dormir au moins 5h, mais cela dépend. J’ai au moins besoin de cela car je ne peux pas être productif sans.
    Et honnêtement, je ne pense pas pouvoir tenir avec ce rythme toute ma vie, en tout cas je n’espère pas devoir le faire !
  • Enfin, que pensez-vous du « les jeunes ne font plus rien » ? Avez-vous aujourd’hui conscience que vous êtes à contre-courant ?
    Pour être honnête, je suis dans un milieu où, globalement, les gens travaillent beaucoup et s’ennuient vite s’ils ne bossent pas. C’est en grande partie dû à mon parcours scolaire. Du coup, ce n’est pas quelque chose que j’ai entendu ou que je vis au quotidien. Je pense en revanche à une personne de mon entourage qui m’a dit vouloir bien gagner sa vie sans devoir trop travailler et je pense que cela peut être lié au cercle dans lequel on grandit, aux modèles qui sont à notre disposition et qui nous inspirent plus ou moins. Aussi, en me basant sur ma propre expérience, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’offres sur le marché, mais qu’arriver à faire un premier pas en entreprise reste très difficile. Même en étant dans une très bonne école, en ayant un bon dossier et un parcours valorisant, j’ai bien vu que beaucoup avaient eu des difficultés à trouver un stage. Certains en ont même été écœurés, car on travaille beaucoup et on n’est pas forcément très bien accompagnés. A titre personnel, j’étais très stressé de ne pas savoir adopter la bonne posture ou bien me mettre en avant. Je pensais que je n’allais pas intéresser les recruteurs, d’autant qu’ils reçoivent des centaines de candidatures. Dans mon cercle, je vois plus de gens qui se disent « je ne vais pas y arriver », plutôt que « je ne veux pas bosser ».
    Je vois aussi beaucoup d’amis désenchantés une fois le stage décroché, soit parce qu’ils n’ont presque aucune tâche, qu’ils sont lâchés seuls sans vraiment d’accompagnement, ou que cela ne se passe pas très bien.
    En tout cas, c’est la vision que j’ai de mon point de vue d’étudiant. Selon moi, dire que « les jeunes ne font plus rien », c’est un gros raccourci et cela n’a pas vraiment de sens. Après bien sûr, il y a de tout. Et il y a des seniors qui sont également démotivés !
    Et puis, je ne sais pas si on disait déjà cela des générations précédentes, mais je pense que ce sont des phrases toutes faites qui reviennent. C’est simplement que nous évoluons et que nous n’avons plus les mêmes références. Je pense que mes parents n’ont pas du tout la même approche que mes grands-parents vis-à-vis du travail, mais ce n’est pas pour autant que les uns étaient plus bosseurs que les autres.
    Du coup, je n’ai pas du tout l’impression d’être à contre-courant !

* Pour des raisons d’anonymat, nous avons modifié le prénom de la personne interrogée

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