Interview d’Olivier et Maxime Verstraete : métiers et réforme des retraites

1 – Bonjour et merci à tous les deux d’avoir accepté cette interview croisée père/fils. Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter ainsi que votre parcours professionnel ?

Olivier : Je suis Olivier Verstraete, j’ai 56 ans. J’ai étudié le droit puis je me suis rapidement orienté vers l’industrie pharmaceutique il y a 30 ans. J’étais plutôt sur des postes de direction des ventes dans différents laboratoires (Pierre Fabre, Lilly,…) et j’ai finalement intégré le laboratoire Bouchara Recordati en 2003. J’ai participé à la création progressive d’un réseau qui n’existait pas. Il s’agissait du projet d’un produit qui était sous AMM AP-HP et à l’époque, nous étions en charge de le produire et de le commercialiser.

J’ai eu plusieurs postes jusqu’à aujourd’hui : en 2010 j’ai été promu Directeur des Ventes. En 2015, je suis devenu Directeur de BU et depuis 2022, je suis Responsable de l’Accès au marché et des Affaires publiques.

Maxime : Je suis Maxime Verstraete, j’ai 30 ans. Diplômé d’un master d’ingénierie de la santé à Lille, ma carrière dans l’industrie pharmaceutique a débuté par des stages en Marketing. Une première expérience chez Bouchara Recordati France puis leur filiale en Irlande. La suivante au sein de la société Bayer en hémato qui a concrétisé mon envie de poursuivre dans ce secteur. Afin de consolider mes compétences en Marketing Pharmaceutique, j’ai intégré le Master Marketing Pharmaceutique de Chatenay Malabry. A la suite du master, j’ai occupé plusieurs postes en Chef de Produits en charge du pré-lancement d’un anti PCSK9 en cardiologie chez Amgen puis Chef de Produit Biosimilaires chez Viatris (anciennement Mylan) pendant 2 ans. Ces expériences m’ont apporté une vision transverse du marketing dans la santé.

Je travaille aujourd’hui chez AstraZeneca en tant que Manager Marketing sur une biothérapie en respiratoire. 

2 – Cette idée d’interview parent/enfant nous est venue suite à l’actualité récente de la réforme des retraites. L’objectif de ces entretiens consiste à mieux comprendre les différences et similitudes d’un même métier/secteur sur deux générations distinctes. C’est aussi l’occasion de voir comment deux générations perçoivent et vivent cette réforme. Ainsi, chacun votre tour, pourriez-vous me parler de vos métiers et missions quotidiennes ainsi que des éléments qui seraient selon vous à améliorer, supprimer ou garder ?

Olivier : L’accès au marché est un poste passionnant. L’objectif est de permettre l’accès de nos traitements au plus grand nombre de patients, dans l’intérêt du patient, et en même temps de trouver le juste équilibre entre la disponibilité du traitement et sa viabilité économique pour l’entreprise.

Au niveau de l’accès au marché, j’interviens dans beaucoup de domaines, ce qui en fait d’ailleurs un métier très passionnant, transversal avec les autres services de l’entreprise. On peut être amené à intervenir dès le développement clinique des nouveaux médicaments, le positionnement dans le marché, tout le process de remboursement (conception des dossiers déposés à l’HAS pour l’avis de commission de transparence)… Il y a ensuite toute une partie de négociation des prix avec le CEPS jusqu’au lancement. Il y a ensuite la dimension Lifecycle Management qui est très important durant toute la vie du médicament. Il faut faire en sorte de garantir la continuité de l’accessibilité au médicament tout en maintenant les meilleures conditions médico-économiques possibles. Une partie importante chaque année est l’évaluation puis la négociation des risques de baisse de prix du médicament dans le cadre des mécanismes de régulation des dépenses de santé. Plus le produit est mature, plus il est exposé à une baisse de prix par le CEPS. J’y ai donc un rôle important d’anticipation et de négociation. Ce qui fait l’intérêt de ce métier selon moi est qu’il y a à la fois un aspect scientifique, économique et une gestion quotidienne des affaires publiques qui est passionnante : les échanges avec le CEPS, la Direction générale des entreprises, la Direction de la sécurité sociale, etc. C’est un métier très riche, complet et complexe.

Maxime : Le marketing est une discipline transverse dans l’industrie pharmaceutique. Nous sommes les chefs d’orchestre de notre produit. On est en charge à la fois de la communication et du positionnement du produit. C’est un métier à la fois enrichissant et challengeant. Comme l’a précisé mon père, on est en contact avec toutes les équipes cross-fonctionnelles en interne : avec le médical, le réglementaire, la DTI, l’accès et bien évidement le terrain. En externe, nous sommes un des points de contact des médecins et des associations de patients afin d’optimiser le parcours de soins des patients. C’est un métier très polyvalent puisqu’on touche tant à la partie stratégique qu’opérationnelle, à l’accompagnement de la force de vente et des médecins. Faire preuve d’adaptabilité est donc primordial. Il faut en effet savoir répondre au mieux aux demandes et besoins de chaque partie prenante. C’est un métier exigeant qui demande de savoir gérer son produit mais également ses chiffres. Il faut être précis et rigoureux dans nos propos et messages passés et faire preuve de leadership pour faire adhérer sa stratégie.

Le marketeur doit également maitriser les données scientifiques et l’écosystème du produit. Enfin, il est primordial que le terrain soit mis au cœur de la stratégie. La synergie marketing/vente est indispensable, selon moi.

Un autre point important : l’omnicanal, c’est-à-dire penser à tous les moyens de communication mis à notre disposition. Nous devons trouver de nouvelles manières de transmettre nos messages. Si notre génération ne le fait pas, personne ne le fera. C’est un réel outil de différenciation mais aussi d’expansion et d’extension de la relation client.

Pour répondre à votre seconde question, je n’ai pas vraiment de choses à garder, supprimer ou améliorer. Nous avons la chance aujourd’hui d’évoluer dans un écosystème hautement stimulant. Œuvrer pour l’optimisation du parcours de soins des patients, c’est très important et l’industrie pharmaceutique le fait de plus en plus et de mieux en mieux !

3 – Dans quelle mesure pensez-vous que votre métier a évolué en écoutant le descriptif qu’en a fait Maxime ?

Olivier : Le métier a fortement évolué depuis 10 – 15 ans et cette évolution était nécessaire pour pouvoir s’adapter aux besoins des professionnels de santé. Comme le dit Maxime, on s’est progressivement beaucoup plus orientés vers le patient avec des discours qui sont nécessairement mieux adaptés aux besoins des prescripteurs, des pharmaciens et des équipes pluridisciplinaires. D’ailleurs, on a aussi vu se développer progressivement les réseaux de visite médicale qui se sont réduits et se sont de plus en plus spécialisés avec la création de réseaux de RPST (réseaux de visiteurs très spécialisés généralement hospitaliers et qui sont responsables de voir le parcours de soins du patient dans sa globalité et plus seulement au moment de la prescription du médicament).

Avant, nous étions sur un marché où il y avait beaucoup de lancements donc on allait vite et on ne communiquait presque exclusivement que sur le produit. Aujourd’hui on a beaucoup augmenté le niveau de formation de nos collaborateurs, et d’exigence de ce fait. Le médecin lui a moins le temps, ils sont moins nombreux et il est indispensable d’avoir un discours de qualité envers ce dernier. Pour cela, comme le disait justement Maxime, il faut une maitrise parfaite du produit mais aussi de tout l’environnement de la pathologie de manière à bien identifier et comprendre les besoins réels des professionnels que l’on rencontre pour le bien des patients. L’autre versant qui a fortement évolué est l’implication des services support dans les laboratoires, notamment au niveau médical et affaires réglementaires. Aujourd’hui, on travaille d’abord en étroite collaboration avec l’ANSM et on a beaucoup de contacts via nos services réglementaires avec ces autorités de santé. Et pour la partie médicale, c’est la compétence scientifique de l’entreprise qui est indispensable et on a vu que les sociétés savantes, les PU-PH, les médecins ont besoin et veulent ce crédit scientifique quand ils échangent avec l’industrie pharmaceutique. On a donc développé avec ce service médical une proximité et des échanges beaucoup plus importants avec les professionnels de santé et les sociétés savantes dans le but d’améliorer la formation des prescripteurs et des équipes pour favoriser une bonne prise en charge.

Avant, pour résumer, on partait de notre produit en démontrant comment il allait être bénéfique pour le patient. Maintenant, nous essayons d’être un support, une aide pour les professionnels en identifiant leurs besoins et en mettant à leur disposition des outils adaptés pour les aider dans le suivi du patient sous traitement.

4 – Maxime, que pensez-vous de cette évolution, de ces changements observés entre vos deux expériences ? Auriez-vous été attiré par ce métier à l’époque de votre père ?

Maxime : Je vois deux axes majeurs : l’évolution de nos moyens de communication et l’optimisation du parcours de soins. Le métier a beaucoup évolué ces dernières années. Le secteur de l’industrie pharmaceutique a connu un tournant majeur. Nous évoluons dans un milieu très réglementé qui nous pousse à faire preuve d’une grande exigence pour répondre au mieux aux besoins de nos médecins et des patients. Les médecins sont de plus en plus jeunes, les patients toujours plus informés sur leur pathologie. Il faut donc qu’on puisse s’adapter constamment, remettre en question nos messages et trouver de nouveaux canaux de communication.

Sur le second point, nous sommes dans un tournant où l’industrie pharma se tourne de plus en plus vers l’optimisation du parcours de soins. Les nouveaux statuts (type APM) permettent aujourd’hui à la visite médicale de ne plus faire « que » la promotion du médicament mais de participer à l’optimisation du parcours de soin des patients et à la formation des professionnels de santé.

Quand on parle professionnels de santé, on ne parle plus que de spécialistes mais de tous les acteurs de santé jouant un rôle majeur près du patient, comme les infirmières, les pharmaciens et les médecins généralistes.

5 – Pour vous deux, qu’implique cette nouvelle réforme des retraites sur votre vie professionnelle (peurs, appréhensions, envies, etc.) ?

Olivier : Dans l’industrie pharmaceutique, nous avons la chance d’être dans un domaine dans lequel il y a de nombreuses possibilités d’évolution ou de changement durant une carrière. Notre entreprise nous permet de nous adapter, d’évoluer ou de prendre de nouvelles responsabilités en nous donnant la possibilité de faire évoluer nos compétences par le biais de formations. Mais c’est aussi à nous de montrer à l’entreprise qu’après 50, 60 ans, on continue à être compétitif, compétent, sachant que nous avons l’avantage de l’historique, de l’expérience, on connait bien la culture d’entreprise et on a aussi une certaine crédibilité. Et par exemple, avoir plus de 50 ans au Market Access peut être un avantage : plus on maitrise les rouages de l’accès au marché, et mieux c’est.  

De ce fait, je n’appréhende pas les retraites. Je pense qu’il faut regarder une carrière dans son ensemble et se remettre en question : il ne faut pas vivre sur ses acquis et se dire « pourvu que cela tienne jusqu’à… ». Je pense plutôt qu’il faut toujours regarder devant, se donner les moyens de monter en compétence et de réaliser ses ambitions.

Maxime : Je suis d’accord avec ce que dit mon père : nous avons la chance d’évoluer dans un secteur où il fait bon vivre et où la confiance règne ! Nous avons la possibilité d’évoluer rapidement tout en diversifiant nos compétences et savoir-faire.

A 30 ans, je me sens peu ou du moins indirectement concerné par la réforme des retraites. Plus on évolue dans un milieu dans lequel on peut diversifier son activité, moins on appréhende cette question. Chez AstraZeneca, nous avons l’opportunité d’évoluer dans un environnement dynamique et stimulant tout en travaillant sur des produits innovants qui révolutionnent la santé des patients.  C’est le plus important selon moi !

Olivier : Il est certain que pour ceux qui ne sont pas passionnés, qui partent le lundi matin en se disant « vivement vendredi soir » et pour des bonnes raisons j’en suis sûr, c’est beaucoup plus compliqué de se dire qu’il va falloir travailler deux ans de plus. Quand on est épanoui dans son travail, l’enjeu n’est pas le même.

6 – Finalement Olivier, est-ce ce type de carrière que vous souhaiteriez pour Maxime ?

Ce que je voulais avant tout pour Maxime, c’est qu’il s’oriente vers un métier dans lequel il puisse s’épanouir et prendre du plaisir. C’est pour moi la chose la plus importante, peu importe le métier qu’il aurait choisi. Maintenant, si c’était à refaire, oui bien sûr je lui conseillerais l’industrie pharmaceutique. Je vois qu’il est passionné, ambitieux. Il a un objectif et un cadre de carrière clair. Il est épanoui dans son métier donc je suis ravi.

7 – Quels conseils donneriez-vous à Maxime pour sa carrière ainsi que pour préparer sa retraite dans le futur ?

Dans la suite de ta carrière, je te dirais de continuer à prendre du plaisir dans ce que tu fais, ce que tu as envie de faire et de te donner les moyens pour atteindre tes objectifs. Et je pense effectivement qu’il faut diversifier ses compétences pour vraiment apprécier son environnement de travail.


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