1) Bonjour et merci d’avoir accepté cette interview pour parler de l’emploi des seniors. Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter ainsi que votre structure ?
Bonjour. Je suis Hubert de Launay, j’ai 59 ans. Je suis donc senior !
J’ai eu un parcours très riche en France et à l’international. Cela fait environ 35 ans que je travaille, même si j’ai l’impression d’avoir commencé hier. J’ai débuté sur des fonctions commerciales, avec de la vente dans la grande distribution avant de poursuivre dans le domaine des télécommunications (ce qu’on appelle maintenant l’économie numérique).
J’ai beaucoup travaillé à l’étranger : en Roumanie, en Égypte, au Kenya, aux États-Unis, au Maroc, etc. J’ai par la suite occupé des postes de direction générale dans des grosses entités avec plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires.
J’ai souvent fait ce que les autres n’osaient pas faire et je suis allé là où les autres n’allaient pas. J’ai toujours considéré que la prise de risque nous permet de progresser, et c’est ce qui a guidé ma vie professionnelle, au même titre que la bienveillance. Cela a pu parfois freiner ma carrière, mais je préfère être bienveillant. Il y a deux ans, j’ai reçu une lettre qui m’a beaucoup ému d’un ancien collaborateur à l’époque où j’étais en Roumanie : “Hubert, je t’envoie cette lettre 25 ans après pour te dire que tu as été la personne qui a compté le plus dans ma vie professionnelle. Tu nous as fait confiance et j’ai appris avec toi qu’on a le droit de se tromper et de ne pas savoir ; qu’on ne doit pas être jugé sur ce que nous n’arrivons pas à faire mais qu’on doit toujours être encouragé à faire mieux”. Cela a toujours été une ligne directrice et que j’applique aujourd’hui dans le recrutement des seniors.
J’ai créé XpertZon il y a bientôt quatre ans, en mars 2021. Cela faisait déjà plusieurs mois que j’y réfléchissais suite à un mauvais recrutement que j’avais vécu. En parallèle, j’ai constaté autour de moi que les gens de plus de 50 ans qui se faisaient licencier à cause du covid avaient de belles compétences et responsabilités. Pourtant, ils se sentaient perdus et me disaient “je ne sais rien faire”. De l’autre côté, je voyais toutes ces entreprises qui n’arrivaient pas à recruter, à trouver des profils avec des compétences qui pourtant sont disponibles ! Simplement, elles ne regardaient pas au bon endroit. C’est là que j’ai eu l’idée de lancer un cabinet de recrutement avec la spécificité de ne présenter que des profils seniors. Je me suis formé, j’ai créé une plateforme sur laquelle les gens peuvent s’inscrire et on y compte aujourd’hui un peu plus de 5 000 profils.
Nous avons développé deux activités :
- la partie recrutement avec la spécificité de la séniorité. Si l’entreprise vient me voir car elle a besoin de profils jeunes, je ne prends pas la mission. Il faut suivre un axe, un outil de différenciation. Si je ne respecte pas cela, je n’ai pas de légitimité sur le marché par rapport aux autres cabinets. Les seuls emplois que je ne couvre pas sont les fonctions médicales car cela nécessite une expertise que je n’ai pas.
- la partie accompagnement des seniors en recherche d’emploi. C’est une forme d’outplacement. Cet accompagnement individuel se fait sur une période assez courte de 5 semaines avec un travail intensif en visio. Beaucoup de seniors n’arrivent pas à trouver du travail. L’une des raisons est qu’ils ne savent pas bien se vendre : identifier leurs forces, structurer leur recherche, travailler leur réseau, actualiser leur CV, etc. On ne fait pas tout ça comme on le faisait il y a 20 ans. Les codes ont changé et il faut les leur apprendre.
XpertZon propose à la fois des offres en CDI et des missions ponctuelles. Beaucoup d’entreprises n’ont pas les moyens de recruter. Pourtant elles ont besoin de compétences pour se développer. Ces courtes missions peuvent alors être une solution pour aider des petites entreprises à accéder à cela, et plus rapidement. Cela nous permet aussi d’explorer davantage les nouvelles formes de travail, en sortant des carcans traditionnels du CDI. En France, nous sommes assez en retard sur ce sujet et je pense qu’il est important de les promouvoir.
J’anime par ailleurs une petite communauté sur LinkedIn où je donne des conseils. Une chose en laquelle je crois beaucoup est la répétition. Je communique constamment sur le fait que les seniors ont des compétences, et je parle des bonnes méthodes pour trouver un emploi. Cela me permet par ailleurs de toucher de potentiels candidats pour mes missions.
Le problème, c’est qu’on a longtemps opposé les jeunes et les seniors dans le monde du travail. Aujourd’hui, je valorise donc des plans de communication pour rappeler l’intérêt d’avoir des seniors dans ses équipes. Ces derniers ont aussi une grande valeur et il faut le faire (re)découvrir aux entreprises. Je pense qu’on manque de bienveillance par rapport à ce sujet en France. Ce n’est pas le cas dans beaucoup d’autres pays.
2) Que mettez-vous en place pour favoriser l’employabilité des Seniors ?
Cela passe tout d’abord par la prospection. Quand je vais chercher des clients, je leur dis toujours que je ne leur proposerai que des profils seniors. Je dirais que je développe surtout la communication sur l’emploi des seniors. Je fais des tables rondes, j’interviens à la télé et dans des débats. Je réponds à des interviews, comme aujourd’hui ! Chaque année, je suis convié par la ville de Versailles pour le salon des profils expérimentés. Il y a également Versailles Grand Parc, qui est une agglomération assez large, et qui compte beaucoup d’entreprises. Elle organise au mois d’avril une présentation de l’emploi des seniors à toutes ces dernières (soit à peu près 250 – 300 entreprises du coin), à laquelle je participerai.
Dernièrement, je suis intervenu auprès du centre des jeunes dirigeants dans les Côtes d’Armor pour présenter à 300 chefs d’entreprises l’intérêt de recruter les seniors.
Au-delà de mes interventions, je communique beaucoup. J’ai fait un livre blanc l’année dernière, je publie des articles, je suis actif sur les réseaux sociaux. Certains me disent que c’est une goutte d’eau dans l’océan, mais je me dis qu’à force d’en parler, on peut réussir à faire bouger les lignes.
Il y a ces préjugés et stéréotypes sur les seniors qui persistent et pourtant, ce n’est pas vrai pour tous. Quand on passe la barre des 50 ans, on ne devient pas du jour au lendemain technophobe ! J’ai récemment recruté pour une cliente qui cherchait un ou une experte comptable. On m’a donné cette consigne : “pas de senior, il ne saura pas faire la dématérialisation”. Je lui ai demandé en retour si elle savait le faire (elle a 50 ans), elle m’a répondu “oui”. Même une senior se méfie des compétences d’un autre senior… J’ai finalement trouvé une personne de 55 ans, qui maîtrise parfaitement ces outils.
3) Quels sont vos constats aujourd’hui concernant le marché du travail des seniors ? Quelles sont les évolutions notables ?
Être senior sur le marché du travail aujourd’hui est très compliqué. La durée de chômage avant de retrouver un emploi est deux fois plus longue que quand on a moins de 45 ans, sans compter ceux qui abandonnent. Depuis un peu plus d’un an maintenant, il y a eu une petite prise de conscience sur cette problématique. En fait, la réforme des retraites a mis l’accent sur la difficulté des seniors à retrouver un emploi, on s’est donc mis un peu à en parler.
Je constate plusieurs choses. Déjà, il y a un discours. Les entreprises commencent par ailleurs à prendre conscience qu’il faut garder les seniors. Je reçois maintenant des appels de grosses sociétés qui veulent intégrer une politique seniors dans leur RSE, et qui souhaitent mon aide pour les accompagner dans cette démarche.
Aussi, la réforme permet de mettre cette problématique en avant dans un contexte où nous vivons une pénurie de talents. Et bientôt, il y aura moins de jeunes que de seniors. Les entreprises n’auront bientôt plus le choix que de recruter des seniors. Dans un moment où on ne trouve plus de candidats, pourquoi les écarter ? Eux qui ont pourtant l’expérience et sont immédiatement disponibles.
Je tiens à rajouter que la responsabilité est partagée. D’un côté, nous avons les entreprises qui ont peur de recruter et de l’autre, des seniors qui doivent réapprendre à se vendre.
4) Aujourd’hui, pensez-vous qu’il est plus dur de trouver un emploi quand on est « jeune » ou « vieux » ?
Quand on est un jeune qualifié, cela reste plus facile que lorsqu’on est un senior qualifié. Les jeunes diplômés ont quand même plus de chance d’être recrutés. Mais c’est aussi de la responsabilité des seniors de savoir se présenter. Un jeune n’a pas forcément d’expérience à vendre, mais il a sa force de travail, sa motivation, sa capacité de réflexion. Un senior lui a bien de l’expérience à vendre, mais s’il n’apprend pas à le faire, cela ne fonctionnera pas. Après, il y a des cycles dans la recherche d’emploi. Quand j’ai commencé à travailler, il était compliqué de trouver un emploi en tant que junior.
Cela dépend aussi du diplôme obtenu. Un ingénieur aujourd’hui n’a pas trop de mal à trouver son premier poste.
Mais il ne faut pas opposer les uns aux autres. Chacun doit veiller à sa propre employabilité, et cela, tout au long de sa carrière.
Il y a quelques années, j’ai appris comment on construisait des murs. On entasse des pierres les unes sur les autres et pour stabiliser le tout, on place des pierres parpaignes, c’est-à-dire des pierres plus grosses qui traversent en largeur le mur. Je fais très souvent le parallèle avec la structure des équipes. Les seniors vont être là pour stabiliser une organisation. On ne peut pas mettre que des seniors, mais ils sont indispensables au sein d’une équipe. Ce sont en général des personnes qui restent plus longtemps, apportent une expérience plus conséquente et cela permet d’avoir une vision à plus long terme. Et c’est normal ! On ne voit et on ne vit pas le temps de la même manière quand on a 55 ou 25 ans.
5) Quels conseils donneriez-vous aux seniors qui cherchent actuellement un nouveau poste ?
Un senior doit avant tout identifier ses compétences et son expertise. Il faut également adapter la manière de se présenter : on ne le fait pas à 50 ans comme à 25 ans. On n’avance pas les mêmes arguments car on n’est pas intéressant pour les mêmes raisons selon l’avancée de notre carrière.
Il faut par ailleurs mettre en cohérence le CV avec le profil LinkedIn. Même si la plupart y sont déjà présents, certains ne mettent pas assez leur compte à jour. Cela peut jouer négativement face à un recrutement.
Je dirais que le réseau est aussi une grande aide dans la recherche. Il faut l’entretenir tout le temps, et ne pas avoir peur de faire appel à ce dernier.
Je fais également du bénévolat pour Talents seniors, dispositif d’accompagnement déployé par l’APEC. Je suivais une femme de 54 ans, directrice marketing pour un groupe français dont elle était sortie car elle n’était plus en accord avec ses valeurs. Elle pensait au début retrouver rapidement un poste, sauf qu’au bout d’un an, elle n’avait toujours rien. Je lui disais constamment d’activer son réseau, mais elle ne se sentait pas légitime de le faire. Elle a fini par essayer et a trouvé très rapidement un poste grâce à ça ! N’ayez donc pas peur de faire appel à vos contacts.
Un dernier conseil : envisagez la recherche d’emploi comme un vrai travail. Se lever le matin comme si vous partiez au bureau, se mettre sur les réseaux, regarder les nouvelles offres d’emploi, entretenir ses compétences, etc. Il faut s’armer de patience car les résultats sont rarement immédiats. Et c’est difficile, n’hésitez donc pas à vous faire accompagner ; pour ne pas être seul, mais aussi pour bien structurer votre recherche.
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