Interview – Thierry Toupin, senior en recherche

1)         Bonjour et merci d’avoir accepté cette interview pour parler de l’emploi des seniors. Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ? 

Bonjour, je suis Thierry Toupin, j’ai 59 ans. Après un baccalauréat scientifique, j’ai fait un BTS action commerciale. J’ai débuté ma carrière dans un laboratoire qui s’appelait Parke-Davis, racheté ensuite par Pfizer en 2000. J’ai commencé sur un poste de délégué médical pendant un an avant de devenir délégué hospitalier. Après trois ans d’ancienneté, j’ai été nommé directeur régional. 
J’ai travaillé dans de nombreux réseaux : cardiologie, gynécologie, endocrinologie, etc. A l’époque, les laboratoires avaient tendance à se restructurer assez régulièrement. J’ai connu tous les modes d’exercice : je suis parti d’un réseau simple, mais j’ai aussi connu les doubles réseaux, triples réseaux,… J’ai connu jusqu’à six réseaux sur un même secteur ! 
Quelques années plus tard, on m’a proposé un poste lors du rachat d’un autre laboratoire, Pharmacia. Jusqu’à la finalisation de l’achat et de son intégration, j’ai ainsi été missionné en tant que directeur des ventes, avant de retrouver mon poste de manager régional. En 2014, on m’a proposé un poste de directeur national des ventes sur un réseau de maladies rares. J’ai quitté l’entreprise en 2018 suite à une négociation avec Pfizer. Nous avions deux produits dans ce réseau : un pour les hormones de croissance et un dans l’hémophilie. Ces derniers arrivaient en fin de brevet alors que nos concurrents proposaient à ce moment-là des produits plus compétitifs et récents. Le réseau n’avait donc plus de raison d’être.
Suite à cela, je me suis lancé dans quelque chose qui m’attirait depuis longtemps : lancer ma propre entreprise. J’ai racheté une petite entreprise de restauration que j’ai transformée en “dark kitchen”, c’est-à-dire un restaurant dans lequel il n’est pas possible de manger ; tous les repas sont livrés. J’ai commencé cette aventure fin 2018. C’était à ce moment-là un gros challenge avec une difficulté bien précise : n’ayant jamais été entrepreneur, les banques n’étaient pas très réceptives à mon projet. Mais j’ai toujours fait en sorte de réussir malgré les obstacles, cela fait partie de mon tempérament. Je n’ai donc pas abandonné et cela a finalement très bien pris, et tout particulièrement avec l’arrivée du Covid. J’ai eu cette “chance” qui m’a permis de continuer à travailler et de voir notre chiffre d’affaires doubler. Nous avons fini avec 25 salariés. En décembre 2023, je me suis dit que c’était le bon moment pour vendre. 
J’ai par la suite été recruté par le laboratoire Ferring. Malheureusement cette expérience n’a duré que deux mois car pour exercer, il fallait avoir accumulé trois ans en tant que visiteur médical. Or, je n’avais fait “que” 2 ans et 8 mois. J’ai fait toutes les démarches possibles pour valider mon statut, mais ma demande a été refusée. Pour cette raison, Ferring n’a pas pu me garder. J’ai quand même souhaité obtenir ma carte et ai donc passé mon diplôme de visite médicale, que j’ai obtenu. 
Depuis ce jour-là, je suis en recherche active ! Malgré les différentes cordes à mon arc et ma détermination, je n’ai à ce jour pas encore retrouvé de poste dans l’industrie pharmaceutique. Aujourd’hui, j’ai même une casquette supplémentaire puisque j’occupe en attendant un poste d’enseignant au lycée où je donne des cours d’économie, de gestion et vente pour des baccalauréats professionnels. 

2)         Avez-vous déjà été confronté à des situations de discrimination liées à votre statut de senior dans le monde du travail ? Sent-on un changement lorsqu’on devient senior ? 

J’ai clairement senti ce changement. Pas directement, car les gens ne vous le disent pas verbalement, mais j’ai beaucoup échangé avec mon réseau et notamment avec des cabinets de recrutement auxquels font appel les laboratoires. Ils m’ont dit en off que les laboratoires demandent en général à ne pas recruter au-dessus de 50 ans… Je le sais et je le savais car il m’est arrivé de recruter des seniors au cours de ma carrière, ce qui a toujours été à l’origine de grosses discussions avec mes supérieurs. 
Il n’y a pourtant selon moi pas de véritable raison de penser que recruter des seniors est un pari risqué. Je ne comprends pas cette peur. Au contraire, je ne vois que des avantages à les recruter ! Ils ont l’expérience, l’historique, le réseau et ils connaissent très bien leur métier, de ce fait, il y a aussi une transmission du savoir inestimable en les maintenant dans les équipes. Après, je dirais qu’au sein des équipes, on ne sent pas forcément ce changement. Lorsque j’ai fait mes deux mois au sein de Ferring, c’était plutôt l’inverse. J’ai beaucoup échangé avec l’ensemble de l’équipe, les plus jeunes me posaient souvent des questions liées à mes expériences précédentes et puis de manière générale… Je ne me sens pas vieillir !
Au-delà de ne pas comprendre ce blocage, je me dis surtout qu’il va bien falloir trouver une solution. Avec la réforme des retraites, on ne peut pas laisser autant de personnes au chômage. C’est là où il n’y a pas de logique et même un décalage total. 

3)         Avez-vous aujourd’hui le sentiment que le marché du travail traite justement les candidats en fonction de leurs compétences sans prendre en compte l’âge de ces derniers ? 

Pour moi, non. Cela fait un an que je postule très activement et les seules réponses que l’on me retourne sont en général les phrases déjà toutes faites : “ Nous avons avancé avec d’autres profils qui correspondent davantage au poste “alors que je postule aux fonctions que j’ai déjà occupées. A l’inverse, quand j’étais jeune, on me répondait “ Vous n’avez pas assez d’expérience”. On dit aux jeunes qu’on recherche l’expérience et les compétences, mais on ne veut pas de celles des seniors. Pourquoi ? Sachant qu’en plus, dans mon métier, il n’y a pas l’excuse du “il faut savoir maîtriser les toutes nouvelles technologies”. Dans mon cas, ce qui est très important, c’est de savoir vendre les produits, aller voir les médecins et maîtriser la négociation.

4)         Y a-t-il des outils ou des conseils qui vous aident actuellement pour naviguer plus facilement sur le marché de l’emploi ? 

Je n’ai pas de choses précises qui me viennent en tête, mais on va dire que j’ai tout pratiqué, et de moi-même. Lorsque j’ai quitté Pfizer, j’ai eu accès à l’APEC mais j’ai bien sûr fait appel à tous les organismes et utilisé les outils mis à disposition des demandeurs d’emploi. 
J’ai aussi rencontré beaucoup de personnes pour étoffer mon réseau. Mais il ne me semble pas qu’on m’ait appris des choses. Cela fait partie de la vie normale de chacun : qu’on soit jeune ou senior, il faut avoir le réflexe de s’auto-former constamment et aller chercher l’information par nous-même. C’est quelque chose que j’ai toujours fait.  

5)         La réforme des retraites a-t-elle fait évoluer l’emploi des seniors selon vous ? 

Cela n’a rien changé… Je me renseigne et regarde beaucoup l’actualité notamment sur l’emploi des seniors mais on parle plus du maintien que du retour à l’emploi de ces derniers, alors que c’est à mon sens la priorité. 
Honnêtement, je pense qu’il y a beaucoup de choses à mettre en place. Comme on le fait pour l’égalité entre les hommes et les femmes sur le plan salarial, il y a des obligations à ce niveau-là. Il y a une pyramide des âges qui est générée au sein des entreprises mais aucune réelle politique n’est menée. Puisqu’il faut travailler jusqu’à 64 ans, il faut veiller à ce que chaque entreprise respecte un pourcentage de collaborateurs entre 60 et 64 ans.
Aussi, je me dis qu’il y a tout à gagner à mettre en place des équipes intergénérationnelles. Lorsque j’ai passé deux mois au sein de Ferring, je passais mes repas avec des jeunes collaborateurs qui me posaient beaucoup de questions sur ma carrière, et avec qui je partageais des idées de nouvelles choses à mettre en place. C’était très enrichissant d’avoir ces échanges.

6)         Finalement, est-ce que vous vous sentez senior ? 

Pas du tout ! Je n’ai pas l’impression d’avoir vieilli depuis 20 ans et que j’ai le sentiment de pouvoir délivrer les mêmes choses, voire davantage. Aujourd’hui, ma séniorité me permet de voir les choses dans ma carrière que j’aurais du ou pu faire différemment, ou avec des outils que je ne connaissais pas à l’époque. 
J’ai 59 ans, et personnellement, je pourrais m’arrêter de travailler. Pour cette raison, je vis bien cette situation et je gère les choses avec beaucoup de recul. Mais je n’ai pas envie de m’arrêter. Car j’ai eu une carrière très riche, dynamique et pendant trente ans, je n’étais pas chez moi du lundi au vendredi. J’ai donc toujours été dans cette énergie et je souhaite retrouver cela. Je suis passionné et je veux garder ces échanges que m’apporte mon métier. 
J’entends donc le besoin de travailler plus longtemps mais je ne comprends pas le fait qu’on exige cela sans mettre en place des choses pour véritablement laisser la possibilité de le faire.

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