Interview : Pierre Le Bras, étudiant ostéopathe

Bonjour et merci d’avoir accepté cet échange pour parler de l’évolution de votre parcours professionnel dans la santé. Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?

J’ai un parcours assez classique. J’ai débuté par un Bac scientifique. Ne sachant pas trop quoi faire, je me suis dirigé vers une école de commerce. Comme je n’étais pas excellent au lycée, je n’ai pas pu intégrer les prépas que je visais. De fil en aiguille, je me suis orienté davantage vers la finance car j’ai une appétence pour les chiffres. J’ai obtenu un master en Audit, Gestion et Finance avec de multiples expériences de stages et séjours à l’étranger. J’ai réalisé mon M2 en alternance chez Sanofi, mon premier pas dans l’industrie pharmaceutique et la santé. Comme j’aime beaucoup le voyage, j’ai décidé ensuite de partir travailler en Turquie via un VIE d’un an et demi, dans la Finance. Cela ne m’animait pas particulièrement, mais cela m’a permis de bien gagner ma vie dès la sortie de l’école. A mon retour en France, j’ai réintégré Sanofi en intérim car ils ne proposaient pas de CDI. J’ai ensuite été embauché comme Responsable financier France au sein de Medela, société dans le matériel médical et plus spécifiquement dans la santé de la femme et l’allaitement maternel. Ce fut ma première expérience en tant que Manager avec une équipe de dix personnes sur du service client, de la finance, de la comptabilité, et de la logistique. Cela m’a beaucoup pris de temps et d’énergie, ce qui m’as forgé et permis de prendre en maturité. Mais quelque chose commençait à me manquer. Je ne me sentais plus à ma place dans la fonction financière et en même temps, je trouvais du plaisir dans l’accompagnement de mes équipes. J’ai fini par démissionner, avant de trouver un emploi à Lyon (où je me suis installé avec ma compagne) au sein d’une société de Biotechnologie, dans le développement de produits et de traitements contre le cancer, notamment gynécologiques. J’étais responsable de la finance, la gestion et l’administration. J’aime à dire que je faisais un peu tout sauf la science. Au bout de dix jours, j’ai senti que j’allais tourner en rond et m’ennuyer. J’étais dans une impasse car pour autant, le milieu me plaisait beaucoup. C’est pour cette raison que j’y suis resté – car je travaille toujours chez eux à côté de mes études actuelles, en freelance. Mais la vie de bureau ne me correspond pas du tout. A titre personnel, je suis convaincu que l’on ne peut pas avoir un travail alimentaire et s’en contenter pour être heureux. J’ai besoin d’être animé et épanoui dans ma profession.

On a plutôt tendance à observer, dans le secteur de la santé, des professionnels qui débutent d’abord par une pratique dans la santé (médecins, kinésithérapeutes, ostéopathes,…) avant de se tourner progressivement vers une carrière dans l’industrie. Vous avez adopté un schéma inverse. Comment cette envie de changement s’est-elle construite et réfléchie ? Quel a été votre déclencheur ?

Quand j’étais en troisième année d’école de commerce, je me rappelle avoir dit à mes parents que cela ne me plaisait pas et que je souhaitais débuter des études d’ostéopathie. Ils m’ont conseillé de finir l’école avant de prendre une décision, ce que j’ai fait. J’avais donc déjà cette idée en tête, même avant la fin de mon parcours initial !

Aussi, la Covid a été un élément déclencheur important. Je me suis retrouvé derrière mon ordinateur à faire la même chose, mais sans voir personne. C’est là que je me suis dit qu’il me serait impossible de poursuivre comme cela. Ce fut comme une première alerte, mais je n’ai pas pris de décision immédiate.

La seconde vague de la pandémie est arrivée et j’ai eu le même ressenti, en plus fort. Je ruminais, je me plaignais un peu et ma compagne m’a dit « vas-y, envoie ta candidature, et tu verras bien ». En quinze jours, mon dossier était envoyé, mon entretien avec l’école était fait et j’étais accepté pour la rentrée d’après, en septembre 2021. Je partais donc pour cinq ans ! Je suis actuellement à la moitié de mon cursus.

Quel impact cette transition a-t-elle eue sur votre vie professionnelle et personnelle ? Pouvez-vous aujourd’hui dire que vous êtes plus heureux dans le métier que vous exercez ?

Sur le plan personnel, c’est un impact considérable que je n’avais pas du tout mesuré. Naïvement, je m’étais dit que le rythme serait gérable, mais ce n’est pas du tout le cas. Il y a énormément de travail,  de choses à apprendre. Cela mobilise beaucoup l’esprit, les weekends pour étudier et la semaine pour les cours. La vie de notre couple a donc était bien entendu impactée, sur notre équilibre, nos sorties, nos vacances, etc. Nous avons en plus eu la chance de devenir parents il y a un peu plus d’un an maintenant.

Sur le côté professionnel, une chose est sûre : je ne retournerai très certainement jamais au poste que j’avais auparavant. Ce que je fais en parallèle en freelance, je le fais car j’ai besoin de financer ma reconversion et que cela m’intéresse de garder un pied dans l’entreprise pour me tenir informé, former et accompagner la boite dans laquelle je suis. Surtout qu’elle me soutient beaucoup dans mon projet ! Ils sont donc très compréhensifs vis-à-vis de mon planning.

Et globalement, ce changement professionnel va être considérable, mais je sais que c’était la bonne décision et que je vais dans la bonne direction. Je suis animé par mon envie d’aider les gens à aller mieux. Et même à titre personnel, avoir cette gratification-là m’importe beaucoup. Ce que j’aime, c’est enquêter, chercher pour comprendre ce que la personne a pour la soigner.

Et oui, je suis plus heureux – du moins je sais que je vais l’être une fois mes études terminées ! Je suis dans ma troisième année, moment où l’on commence à prendre en charge des patients et c’est génial. Rien que ce matin, j’ai eu un patient adorable avec qui j’ai passé un très bon moment, et ce sont ces petites choses-là qui me font comprendre que j’ai pris la bonne décision. Je me sens stimulé et je pense que je le serai encore plus dans les années à venir.

Y’a-t-il eu des difficultés notables auxquelles vous avez été confronté dans ce changement (financement de votre projet, gestion du temps, etc.) ? Et si c’était à refaire ?

Cela a été un peu compliqué au niveau de l’adaptation pour notre vie de couple. On a dû faire face à pleins de changements, et à la baisse de revenus aussi. Il a fallu adopter un mode de vie différent. Mais notre vie aurait été impactée même si j’avais continué de travailler.

Sur la partie financement, j’ai de la chance car j’ai beaucoup de droits au chômage, ce qui me permet de maintenir un revenu. Et je continue de travailler en parallèle pour financer mon école.

Et si c’était à refaire ? Honnêtement, je ne peux pas vous dire. Quand je regarde derrière moi, je me dis « oui », mais si j’avais mesuré tous les changements que ça impliquerait, je ne suis pas sûr que je le ferais ni que ma compagne m’encouragerait comme elle l’a fait. Il faudrait peut-être me le redemander dans 5 – 10 ans ! Je pense aussi que je suis actuellement dans le creux de la vague, qu’il me tarde d’être diplômé. Mais sur le long terme, en y réfléchissant, je pense que j’avais réellement besoin de sauter le pas. Disons que je mesure aujourd’hui pleinement l’ampleur de ces changements, et c’est assez considérable. Ce n’est donc peut-être pas si mal de ne pas trop savoir dans quoi on s’engage pour se lancer plus facilement ! Et je pense que j’ai trouvé ce qu’il me fallait.

Enfin, votre avis sur l’état du système de santé en France aujourd’hui : avant, vous étiez patient et/ou partenaire, aujourd’hui, vous « pratiquez » la santé. Ce changement de position a-t-il fait évoluer votre vision du système ?

Je ne peux pas me poser en expert, surtout que l’ostéopathie n’est pas remboursée par la sécurité sociale. De plus en plus de mutuelles la remboursent, et plutôt bien. Je pense que c’est aussi lié au fait qu’il y a de moins en moins de médecins, ils n’ont plus le temps pour les patients. Ces derniers viennent donc de plus en plus pour des consultations chez nous. Mais cela veut dire que je vais voir des patients qui n’auront rien à faire dans mon cabinet. Soit parce qu’ils sont en errance, qu’ils n’ont pas de médecin de proximité ou pas le système de soins adapté pour eux. Étant fils de médecin et d’infirmière, je côtoie ce milieu depuis petit, je vois ce qu’il s’y passe et il y a clairement un souci au niveau de la prise en charge des patients.

Après nous avons la chance de ne pas être en hôpital, et de ne pas être trop directement touché par le manque de personnel. Mais le problème d’accessibilité reste visible partout. Honnêtement, cela me fait mal de voir que beaucoup de patients ne sont pas soignés et se retrouvent chez nous alors que ce n’est pas ce qu’il leur faut. On peut leur apporter un peu de confort, mais nous ne sommes pas médecins.

Après, en ostéopathie, on nous apprend aussi à identifier les « drapeaux rouges ». On a bien sûr le rôle de débloquer des tensions, de soulager des douleurs, et de rendre la vie meilleure mais également celui d’identifier les éléments sérieux qui devront être traités médicalement. 

Je pense aussi à la santé de la femme, qui selon moi n’est pas encore assez bien traitée, et moins prise en charge : les grossesses, les violences, les douleurs liées aux cycles, l’endométriose, la fibromyalgie qui touche beaucoup les femmes, etc. Je me rends compte de beaucoup plus de choses dont je n’avais pas conscience avant de débuter mes études. Et j’espère qu’à mon échelle, je pourrai faire bouger deux-trois choses. Mais je pense que la prise de conscience globale est encore loin d’être suffisante.

J’aimerais finir en disant que rien n’est impossible. Bien sûr, il faut mesurer les impacts, mais surtout oser !

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