Interview : Sophie Pilon, infirmière en réanimation

Bonjour et merci d’avoir accepté cet échange pour parler de l’évolution de votre parcours professionnel dans la santé. Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?

J’ai initialement une formation scientifique avec un Bac S obtenu en 2007. Dans ma famille, il y a beaucoup de soignants, je me suis donc orientée vers ce secteur également.

A l’origine, je voulais être vétérinaire. J’avais donc débuté une prépa mais c’était trop compliqué.  J’ai donc réalisé une licence de Biologie à l’Université de Pau avant de poursuivre sur un master en Neuroscience et Neuropsychopharmacologie à l’Université de Bordeaux. J’ai terminé par un second master en Management et Biotechnologie à Dijon (mais sans trop vraiment savoir ce que j’allais en faire).

A la suite de mes études, je suis montée sur Paris pour un stage avant de faire deux ans au sein du cabinet de recrutement Linkare (filiale du groupe Serendip), en tant que Chargée de Recherche ! Cela n’avait absolument rien à voir avec ce que je souhaitais faire, et je n’avais eu aucune expérience précédente dans le recrutement. Mais la rencontre avec l’équipe s’est très bien passée et j’ai beaucoup aimé cette expérience. Après deux ans, j’ai senti que je m’étais un peu trop éloignée de ce qui m’animait quand j’étais plus jeune. Même si je m’amusais beaucoup dans le recrutement, quelque chose me manquait. J’ai donc pris la décision de quitter Paris et rentrer dans le sud-ouest pour passer le concours d’infirmière. Et c’était la bonne décision puisque j’ai fini Major de promo !

J’avais pour projet de faire uniquement de la réanimation. J’ai donc tout fait pour intégrer le service de l’hôpital de Pau, ce qui est arrivé après mon stage de fin d’études. J’y suis donc depuis plus de deux ans maintenant et je suis très contente. C’est un savant mélange de savoir scientifique, de compétences techniques, de relations humaines… : c’est extrêmement riche et complet. On gère des patients pour beaucoup dans le coma, mais pas que. Il y a aussi les familles, qui représentent une grande partie de notre quotidien. On y trouve par ailleurs beaucoup de jeunes médecins qui se tiennent très bien informés des dernières études, on travaille donc pas mal sur les nouvelles recommandations. C’est très intéressant.

Je suis fonctionnaire depuis deux mois. Avant la crise Covid, se faire titulariser pouvait prendre sept ans.  Depuis, avec la fuite du corps médical, l’hôpital de Pau a accéléré le processus pour attirer plus de personnes. Le turn over est très important dans le service et il est difficile de recruter, notamment des profils plus expérimentés. L’une des raisons est que la réanimation est un service très exigent et contraignant.

Par ailleurs, après avoir travaillé en réa, il est dur d’être intéressé par un autre service car c’est très complet. Certains vont alors en centres de dialyse, d’autres en soins intensifs cardiologie dans le privé, dans la gestion du don d’organes, le libéral ou bien passent les concours de cadres.

On a plutôt tendance à observer, dans le secteur de la santé, des professionnels qui débutent d’abord par une pratique dans la santé (médecins, kinésithérapeutes, ostéopathes,…) avant de se tourner progressivement vers une carrière dans l’industrie. Vous avez adopté un schéma inverse. Comment cette envie de changement s’est-elle construite et réfléchie ? Quel a été votre déclencheur ?

Honnêtement, c’est un grand changement dans ma vie personnelle – une rupture – qui m’a donné l’opportunité de tout remettre à plat. Je me suis dit que j’avais à présent l’occasion de faire ce que je voulais, sans penser à deux. Je savais que je voulais revenir dans le sud-ouest et travailler à distance dans le recrutement ne m’aurait pas convenu. Par ailleurs, le diplôme d’infirmier permet beaucoup de choses à mon sens. Il y aura toujours du travail, et dans des domaines très variés : la vente, le soin, l’encadrement, la formation… Et cela me permettait aussi de garder une certaine souplesse de mobilité si jamais un jour le besoin se présentait. Enfin, il y avait l’appréhension de l’absence de revenus mais j’ai pu être financée par Pôle Emploi, ce qui a facilité cette période. Et on sait qu’au terme, on sera embauché très rapidement.

Ce qui est assez drôle, c’est que plus jeune, j’avais peur des maladies, des hôpitaux et jamais je n’aurais voulu être infirmière. Je pense que j’étais trop jeune pour me projeter dans ce métier, d’autant que je n’y voyais pas beaucoup d’avantages. On a rapidement la vision des infirmières qui font simplement des piqûres, sans voir l’étendu réel des missions que propose ce métier, parce qu’il n’est pas du tout valorisé par la société. Peut-être qu’inconsciemment, travailler chez Linkare en recrutant des infirmières m’a permis de réaliser que je voulais poursuivre également dans cette direction !

Quel impact cette transition a-t-elle eue sur votre vie professionnelle et personnelle ? Pouvez-vous aujourd’hui dire que vous êtes plus heureuse dans le métier que vous exercez ?

C’est un grand oui ! Je suis plus heureuse. Déjà, je n’ai plus la pression du chiffre que j’avais dans ma fonction précédente, même si bien sûr nous avons une autre forme de stress. Et le travail en équipe que je peux avoir aujourd’hui est vraiment formidable. Ce n’est pas comparable avec celui en bureau, parce que l’environnement est radicalement différent. Les liens sont très soudés et c’est vraiment important pour le bon fonctionnement du service. C’est très appréciable, on vient au travail avec le sourire malgré la fatigue, et cela joue énormément sur le moral.

Sur la vie professionnelle, je dirais que c’est un changement total : j’ai des jours, des nuits, un planning à respecter à la lettre ; il n’y pas du tout de flexibilité. Je ne peux pas poser de congés au fil de l’eau, cela s’anticipe un an à l’avance. Il faut donc adapter sa vie autour.

L’impact financier est quant à lui moindre car je suis mieux payée qu’avant. Surtout à Pau où le coût de la vie est bien moins cher qu’à Paris, je sens une vraie différence. Cela m’a permis d’acheter mon appartement, d’être très bien placée en ville… Après, c’est spécifique au service de réanimation car nous avons davantage de primes. J’ai vraiment l’impression d’avoir gagné sur tous les plans… sauf les nuits ! Pour vous donner quelques chiffres, on effectue entre cinquante et soixante nuits par an. Et il est à noter que ce service est particulièrement actif, même la nuit. Cela ne s’arrête jamais. Au niveau des horaires, on fait 7h – 20h de jour, 19h – 8h de nuit. Avec ce rythme, on fait deux jours d’affilé maximum, suivis de deux jours de repos minimum. Et on recommence. Je suis donc à l’hôpital onze à douze jours par mois.

Y’a-t-il eu des difficultés notables auxquelles vous avez été confrontée dans ce changement (financement de votre projet, gestion du temps, etc.) ? Et si c’était à refaire ?

Pôle emploi m’a aidée à financer mes trois années d’études, ce qui m’a permis de garder un petit revenu. 

Au niveau de la gestion du temps pendant ma reprise d’études, c’était bien sûr chronophage. Mais il faut passer par là. A titre personnel, je suis assez flexible, mais je sais en revanche que cela peut être beaucoup plus compliqué à gérer pour celles et ceux qui ont des familles, des enfants à charge, notamment à cause des nuits travaillées.

Et si c’était à refaire ? Bien sûr, sans aucune hésitation ! Être infirmière en réanimation, au-delà des difficultés que j’ai citées, c’est beaucoup de bons moments, des patients qui reviennent parfois de loin et auxquels on s’attache. Quand ils reviennent nous voir des mois après avec leur famille, c’est un vrai bonheur. Et au sein de l’équipe, on partage énormément pour améliorer la prise en charge et les soins administrés aux patients. Bref, beaucoup de rires malgré le contexte et l’environnement dans lequel on travaille !

Enfin, votre avis sur l’état du système de santé en France aujourd’hui : avant, vous étiez patient et/ou partenaire, aujourd’hui, vous « pratiquez » la santé. Ce changement de position a-t-il fait évoluer votre vision du système ?

Ma vision n’a pas changé. Si ce n’est sur le prix réel des coûts, dont je n’avais pas la mesure avant de devenir infirmière. Par exemple, les chambres de réanimation coûtent extrêmement cher, les traitements également et parfois des chambres sont occupées par des patients qui n’écoutent pas les médecins (cela a été notamment le cas durant la pandémie), ne prennent aucune précaution et c’est parfois épuisant. Après, ce n’est pas tant l’état du système de santé global que nous voyons se dégrader mais celui de l’hôpital. Nous n’avons plus de médecin ; il n’en reste qu’un au service pneumologie. On se retrouve souvent avec des patients en réa dont la santé s’améliore, mais on ne sait plus où les envoyer ensuite car il n’y a plus de place. Ils restent donc dans notre service, sachant qu’une chambre sans aucun traitement, c’est 2000 euros par jour. On rajoute à cela les respirateurs, les séances de dialyse, l’oxygénothérapie spécifique à la réanimation… A côté de cela, les urgences sont tout le temps débordées, il est donc de plus en plus difficile d’accéder au soin.

Il y a de moins en moins d’effectifs, cela ne fait plus rêver comme avant. Ils ne veulent pas revaloriser notre salaire, et nous proposent plutôt des primes qui ne comptent pas pour la retraite. L’état de l’hôpital s’était déjà un peu délité mais la pandémie a tout accéléré. Le personnel soignant a simplement dit « stop ». Être rappelé sans cesse pour aider, et derrière, ne même pas avoir un « merci », cela décourage. On s’épuise sur nos jours de repos, et cela n’est pas compté comme des heures supplémentaires. Maintenant, je prends donc le parti de refuser la plupart du temps quand je suis rappelée, sauf dans les cas où je suis payée en heures supplémentaires.

Retrouvez nos autres articles ICI !

Leave a Reply

Your email address will not be published.

Share This

Copy Link to Clipboard

Copy