3 questions à Charles Pépin – Philosophe

Quel regard portez-vous sur les deux premières semaines de confinement en France ?

Il y a clairement un décalage entre une sorte d’appel à être ensemble et la réalité tragique du virus qui nous sépare. Le virus nous dit que nous sommes tous embarqués dans la même aventure. Le philosophe Pascal disait d’ailleurs :  “ nous sommes embarqués ”, ça veut dire que nous sommes tous dans le même bateau. On pourrait penser qu’on va retrouver une conscience de l’être ensemble planétaire, une conscience écologique aussi. Bref, un appel à l’ensemble dans le mal et dans le bien. Mais le virus pose problème : il sépare les individus. Il y a ceux qui luttent en étant au front comme les soignants et ceux qui luttent sans rien faire, en restant chez eux. Il y a tant de murs. Entre ceux qui sont confinés dans un deux pièces et ceux pour qui être confinés veut dire réinvestir la propriété familiale à la campagne.

Nous sommes aussi inégaux face à l’ennui : certains savent s’ennuyer et certains n’en sont pas capables. Je pense par exemple aux publications polémique des journaux de confinement de Leila Slimani et de Marie Darrieussecq. Comment ne se sont-elles pas doutées que leurs journaux pouvaient être insupportables par ceux qui n’ont pas leur culture littéraire ou n’ont pas de jardin ? J’ai l’impression qu’on vit dans un écart entre une nécessité de la solidarité et une évidente séparation.

Comment la philosophie peut-elle nous aider à vivre cette période ? 

La philosophie peut nous apporter un éclairage stoïcien. Chacun doit comprendre et savoir ce qui dépend de lui et ce qui n’en dépend pas. Ainsi, on peut se concentrer sur ce qui dépend de nous et nous met en joie. Par exemple, le fait d’aider directement les soignants ne dépend pas de moi, je ne peux rien faire, mais ce qui dépend de moi c’est le fait de bien me comporter avec mes proches : être un bon père, un bon fils, un bon ami. On risque de vivre difficilement cette période si on essaie de changer quelque chose qui ne dépend pas de soi. Je déconseille de se réveiller tous les matins avec le décompte du nombre de mort en France : ça n’a aucun intérêt. C’est anxiogène et quand on est angoissé on agit mal. La sagesse c’est de se protéger du rapport trop violent de ce qui ne dépend pas de soi et se rapprocher de ce qui dépend de soi. 

Cette période aura-t-elle des conséquences à long terme ? 

La vie est cyclique.  La crise du présent ouvrira une fenêtre sur l’avenir. Il y aura une rupture et un après, c’est certain, mais je ne sais pas ce que c’est. Je pense que c’est le moment pour nous de réfléchir au monde d’après. Quand on voit le danger de ce virus et à quel point la santé est importante peut-être qu’on n’aura plus envie de manger de la nourriture manufacturée et chimique. Quand on voit qu’on est capable de ne pas polluer la ville en période de crise, ça nous dit peut-être qu’on est capable de le faire aussi après. 

Ce virus est apparu parce que, au fond notre monde est malade et ce monde est notre maison. Donc c’est peut-être l’occasion de réfléchir maintenant à ce qu’on peut faire pour rendre le monde moins malade.

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