Interview : Dominique Chauvelier, ancien champion de France de marathon

Bonjour et merci de nous avoir accordé cette interview.

A l’approche des JO Paris 2024, nous avons souhaité nous pencher sur la place du sport en entreprise. Dans un premier temps, pourriez-vous rapidement vous présenter ainsi que votre parcours sportif ?

Je fais partie de ce qu’on appelle les « dinosaures » du running ! Je m’appelle Dominique Chauvelier, et je vais faire 68 ans cette année. Je cours depuis 1969-70, à une époque où c’était très mal vu. Quand on courait dans la rue, on se faisait traiter de fou ou de fainéant… En un mot, tu dépensais tes forces à courir plutôt qu’à aller travailler.

C’était donc assez paradoxal : faire du sport revenait à être un paresseux dans l’esprit des gens.

Aux Etats-Unis et en Australie, on a commencé par appeler cela le « jogging » (to jog = trottiner). A la fin des années 70, le jogging est donc arrivé car les américains s’apercevaient que c’était bien pour lutter contre l’obésité.

On faisait aussi du « footing », et maintenant, on utilise beaucoup le terme de « running ». Moi, je dis que je fais de la course à pied ! Dans les années 80, Nike arrive en France et je deviens à ce moment-là champion de France au marathon. Ils cherchaient des coureurs emblématiques et du haut de mes 23 ans, j’avais déjà un bel article dans Le Monde qui retraçait mon parcours d’employé de banque à coureur professionnel. La gauche arrive au pouvoir avec François Mitterrand en 1981, et il instaure les premières conventions d’athlètes de haut niveau. Tout de suite, je pense qu’ils ont été séduits par mon profil hybride. Mon patron à la Banque Populaire m’a permis d’avoir une aide pour travailler à mi-temps et poursuivre en parallèle ma carrière sportive.

On s’est mis à courir de plus en plus, les marathons étaient chaque année plus remplis… On est passé de 2000 à plus de 50 000 participants aujourd’hui. J’ai connu un peu toutes les phases de cette évolution. Et je ne vous ai même pas parlé des femmes qui couraient à mon époque ! Elle se faisait traiter de tous les noms…

Le Covid a aussi beaucoup accéléré la démocratisation de la course. Les gens ne pouvaient plus se rendre dans leur salle de sport, le running est donc devenu LA pratique accessible pour toutes et tous. J’ai un ami qui tient un magasin de chaussures de course et il a fait sa meilleure année en 2020 ! Ce phénomène a continué pour prendre aussi beaucoup place en entreprise via des courses caritatives par exemple. On dit qu’il y a près de 10 millions de coureurs en France aujourd’hui, c’est-à-dire qui font au moins une sortie par semaine !

Et pourquoi me suis-je mis au running à l’époque ? J’étais un enfant très solitaire. Et cela correspond finalement un peu à la solitude du coureur de fond ! Aussi, je n’ai jamais eu droit à des félicitations de la part de mon père, comme beaucoup d’autres enfants à mon époque, et je pense que je voulais lui prouver quelque chose. Je me suis alors mis à la course au collège. Je suis passé au niveau départemental avant d’atteindre la première place de l’Académie en course à pied. Au fur et à mesure, j’ai grimpé les échelons et j’ai fini par être l’un des meilleurs français à 18 ans. J’ai continué et ai surfé sur l’essor des marathons ; l’argent et les sponsors ont ensuite fait leur place dans la course à pied. J’ai fini par prendre un congé sabbatique à la banque pour vivre de mon sport.

Arrivé à la quarantaine, quand les performances ont commencé à décroitre, j’ai utilisé tout mon réseau de partenaires pour créer une société pour accompagner les gens et entreprises dans la course à pied. Je suis toujours consultant pour Adidas, pour une entreprise spécialisée dans la diététique, etc. J’ai été là au bon moment. Après, il faut bien entendu savoir se vendre. Courir vite ne suffit pas. Et ce sport m’a permis de développer ma confiance en moi pour être beaucoup plus à l’aise avec les autres. J’anime beaucoup de courses et on me réclame bien sûr par ma carrière mais aussi par mon charisme, ma joie de vivre et mon envie de partager ! Je suis quelqu’un de naturellement très accessible et j’apprécie autant parler de cette passion avec des expérimentés que des novices. D’ailleurs, tout le monde m’appelle Chauchau !

Et je suis l’un des rares à avoir pris cette voie-là je pense. Beaucoup d’autres athlètes sont rentrés dans la vie active suite à la fin de leur carrière sportive.

Vous intervenez beaucoup dans les entreprises en tant que coach. Depuis le début de votre carrière, avez-vous remarqué une évolution positive de la présence du sport en entreprise ?

C’est venu tout doucement. Le vrai accélérateur a été le Covid. Mais il y avait déjà des choses qui se faisaient en entreprise. Certaines sociétés comme Alma ou Renault m’avaient sollicité avant 2020 pour des actions ponctuelles, des conférences, et bien sûr le jogging en équipe pour finir en beauté ! Avec les JO, les demandes sont encore plus fortes et plus récurrentes. Le côté fédérateur et « brise-glace » de la course attire beaucoup : on se retrouve tous en short ou legging avec le DRH, le PDG, les collaborateurs… J’étais intervenu pour l’équipe de la banque Oddo et je leur faisais faire du fractionné dans le jardin des Tuileries. Le Directeur Général a de suite été très convivial. Je m’en suis amusé en l’encourageant devant ses équipes « Aller Michel, bouge-toi ! ». Il était ravi que je le traite comme monsieur Tout-le-monde et que je le tutoie. Il n’y a que dans le sport où on peut voir ça !

Le « jogging d’affaire » semble également bien marcher : deux sportifs qui vont courir ensemble tout en faisant du business, c’est super. C’est peut-être même plus efficace qu’un déjeuner classique où on peut avoir tendance à regarder son téléphone ; là, on est concentré sur la course et l’échange. Je pense que c’est un truc à développer encore plus !

L’arrivée des JO en France a-t-elle accéléré une certaine demande ?

Beaucoup d’entreprises veulent aujourd’hui se faire accompagner par des anciens athlètes ayant déjà fait les Jeux Olympiques. J’ai participé à ceux de Barcelone en 1992 et de ce fait, je suis très sollicité.

Il est donc clair que  cela a été un accélérateur. Je prends l’exemple d’Orange qui a beaucoup investi dans le marathon olympique Pour Tous en qualité de Parrain officiel. Mais je crains que l’après-JO entraine une baisse de l’intérêt pour la course à pied, et notamment dans les grosses entreprises. C’est un peu le revers de la médaille.

En revanche, beaucoup de choses se développent au niveau digital. Je vais parrainer une opération avec France Télévisions (et toutes les antennes régionales France 3) qui a motivé ses collaborateurs avec une application de sport. Chacun peut aller courir pour cumuler des points. Ils font ça en groupe de quelques personnes pour se challenger entre équipes. Cela se développe très bien !

J’ai par ailleurs noté un changement dans le profil des runners avec l’arrivée des JO, c’est leur rajeunissement. On le voit beaucoup dans les courses officielles : il y a de plus en plus de coureurs dans la fourchette des 22-35 ans. On évolue dans une société actuellement assez « morose » et courir, ça fait du bien. Ça permet de se vider la tête, de partager des moments sympas quand on y va à plusieurs, c’est simple et gratuit.

Pourquoi, selon vous, les entreprises mettent-elles de plus en plus d’importance dans la pratique du sport : le côté fun/ludique, l’hygiène de vie, le fait que le sport véhicule un esprit de partage et appartenance ?

Comme on l’a dit plus tôt, c’est un mélange de tout. J’anime des défis en entreprise chaque semaine avec un ami. On se retrouve à 18h près d’un plan d’eau. Les collaborateurs forment des équipes de 4. Un coureur doit faire 4km et donne le relai à un cycliste, qui lui doit faire 8km. La boucle se termine par 600m de canoë. Chaque soirée réunit plusieurs entreprises qui ont inscrit une ou plusieurs équipes. On se retrouve ensuite pour un dîner qui mêle les dirigeants avec leurs collaborateurs dans une bonne ambiance, hors du cadre du travail. Ça permet une belle cohésion d’équipe grâce à des moments ludiques.

En tant que président de mon club d’athlétisme, je vois même des entreprises qui remboursent de plus en plus une partie de la licence de leurs collaborateurs.

En dehors du running qui séduit beaucoup au sein des entreprises, j’ai aussi l’exemple du vélo.

Je connais un chef d’entreprise dans le secteur de l’hôtellerie qui m’avait sollicité à l’époque afin de coacher cent salariés pour le marathon de New-York ; aujourd’hui, il s’est pris d’intérêt pour le vélo. L’autre jour, ils ont réalisé un Paris-Nîmes car ils ont ouvert un hôtel là-bas. Ils se sont organisés en deux groupes, avec les plus forts d’un côté, les moins forts de l’autre.

Pour moi, le running est ce qu’il y a de plus simple mais il y a effectivement pleins d’autres sports qui séduisent aujourd’hui les entreprises.

Une petite anecdote à partager qui a marqué votre carrière ?

Je dirais que ce sont surtout les rencontres qui m’ont marqué. J’ai par exemple coaché Denis Brognart ou encore MC Solaar, qui voulait faire le marathon de New-York pour ses 40 ans ! Quelques jours avant la course, nous avions fait un dernier run pour mieux faire passer le jetlag et pendant que je le coachais, lui me faisait un cours d’histoire sur la musique. Je l’ai revu il y a quelques années quand il a sorti son avant-dernier album et quand il m’a vu, il a crié « Chauchau, qu’est-ce-que tu fais là ? », c’était très drôle. Pour finir, je dirais que pour être un bon coureur sur le long terme, il n’est pas question d’être doué naturellement. Selon moi, la recette réside dans la discipline, la motivation et la joie. Les gens qui parviennent jusqu’à un marathon sont des personnes qui seront également performantes dans les autres aspects de leur vie car patientes et disciplinées.

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