Interview : Manon Hily, grimpeuse en équipe de France

Bonjour Manon ! Merci de prendre un peu de ton temps pour répondre à quelques questions. Dans un premier temps, pourrais-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?

Bonjour ! Je suis Manon Hily, j’ai 29 ans et je suis grimpeuse française. J’ai grandi sur l’ile de la Réunion où j’ai découvert l’escalade au collège. Je me suis construite autour de ce sport tout au long de mon adolescence. J’ai alors plongé dans la compétition jusqu’au niveau international ; j’ai très vite eu une « double vie » qui ne m’a jamais quittée. J’ai performé assez rapidement en catégorie jeune, en faisant des podiums en championnats du monde ou en gagnant des coupes d’Europe. Je suis pour ma part spécialisée dans l’escalade de difficulté.

Après le bac, j’ai décidé de revenir à Marseille pour débuter les études supérieures et continuer en parallèle les compétitions d’escalade. Je voulais faire des études dans le milieu de la santé. J’ai tenté médecine avant de me rendre compte que je n’avais pas la capacité de mener de front à la fois mon projet sportif et ce type de formation. Je me suis donc réorientée, au début un peu par défaut, vers des études d’infirmière.

Au fil des années, j’ai compris que je n’étais pas là par hasard et ai vraiment ressenti ce qu’on appelle la « vocation » pour le soin. J’ai directement travaillé à l’hôpital après mon diplôme. Je n’ai jamais caché ma double vie, que ce soit en tant qu’étudiante ou professionnelle. Avec cette double ambition, j’ai directement accédé à un poste avec des horaires de jour pour m’entrainer le soir et partir le week-end. J’ai très rapidement demandé un 80% ainsi que des jours pour me libérer sur les compétitions.

Je dirais que le service de soins intensifs où je travaille encore aujourd’hui s’est pris au jeu ! A ce jour, j’ai l’impression que mon projet est aussi porté par une grande partie de l’hôpital. Je me sens bien entourée, encouragée et soutenue par mes collègues et ma hiérarchie. J’étais même, depuis un an, financée par l’agence nationale du sport pour m’entrainer, avec comme objectif la qualification olympique. Je suis absente de l’hôpital depuis juin 2023 avec le consentement et je dirais même avec l’enthousiasme de mon employeur. Malheureusement, après un an de compétitions et épreuves qualificatives, je n’ai pas réussi à décrocher ce ticket précieux pour les Jeux Olympiques. Mais j’ai grandi en tant que femme et sportive. C’était avant tout une aventure mémorable !

Pendant un an, nous t’avons accompagnée dans la phase qualificative des JO. En dehors des entreprises spécialisées dans le sport qui te suivent depuis des années, avais-tu déjà été sponsorisée par des sociétés comme la nôtre ?

Avant les Jeux, les sponsors que je pouvais avoir étaient principalement des équipementiers du milieu de la montagne. Depuis l’annonce des Jeux à Paris, beaucoup d’athlètes se sont fait approcher pour du mécénat ou du sponsoring, le but étant de soutenir des athlètes pour aller aux Jeux tout en permettant la mise en contact du sport de haut niveau avec le monde de l’entreprise, par des partages d’expériences et de valeurs. Cela a été mon cas avec Serendip, ou encore la CMA CGM.

As-tu vu une évolution de l’intérêt des entreprises pour le sport depuis le tout début de ta carrière ?

Pour moi, il y a effectivement une réelle évolution liée aux JO de Paris, mais aussi à la popularité montante de l’escalade. Avec les réseaux sociaux, la communication est omniprésente  et les athlètes ont bien plus de visibilité. Nous sommes comme les vitrines de certaines entreprises ou marques. Bien sûr, je trouve que le milieu professionnel sportif est toujours très précaire, et en tant qu’athlètes, nous cherchons toujours en priorité des sponsors avec qui nous partageons des intérêts et valeurs communes. Mais parfois, nous n’avons pas le choix …

Le statut d’athlète est en effet selon moi toujours trop instable. Déjà, les partenaires établissent la plupart du temps des contrats d’une durée maximale d’un ou deux ans. Quand décembre arrive, on est jamais sûr de signer de nouveau avec nos sponsors. Ça se rapproche un peu des CDD, finalement ! Cela dépend aussi de la discipline et du type de partenariat. L’escalade, par exemple, ne nécessite pas beaucoup d’argent pour ce qui est du matériel, et c’est une bonne chose. Mais les sponsors le savent aussi et peuvent donc donner un montant en fonction de cela, sans prendre le reste en considération : les déplacements, notre propre rémunération, etc. Il est trop difficile de pouvoir vivre avec deux ou trois sponsors. Pour être à l’aise dans notre pratique avec tous les voyages que cela implique, il en faudrait au moins cinq à l’année.

Au-delà de nos sponsors, il y a la rémunération via les compétitions. Il ne faut pas espérer compter uniquement sur ces dernières pour vivre de notre sport ! Quand on fait le circuit international, cela comptabilise beaucoup d’épreuves dans les quatre coins du monde. De ce fait, on se déplace moins sur des évènements promotionnels (comme les Masters) qui sont organisés en parallèle par des marques ou gros clubs, et sur lesquels on peut gagner davantage. Je dirais enfin que pour les cinq meilleurs mondiaux, la question se pose moins, notamment parce qu’on ne gagne véritablement qu’en faisant les podiums sur les coupes du monde. Mais ça reste assez faible : cela varie de 500 à 3000 euros pour le premier. On ne peut donc pas compter seulement là-dessus. Du coup, je vois plus cela comme un bonus ou une prime !

On est alors souvent amenés à négocier des primes au résultat avec nos sponsors, quand c’est possible. Ce fonctionnement aide pas mal. Et pour toutes ces raisons, voir arriver les entreprises sur le terrain du sport est vraiment une bonne chose ! Quand j’étais jeune athlète, j’étais davantage aidée par des bourses et aides du gouvernement, mais les sommes restaient assez faibles. Il y a dix ans, à part les professionnels en falaise, quasiment personne ne pouvait vivre de l’escalade. Aujourd’hui, les sponsors ainsi que les entreprises dans lesquelles les athlètes travaillent en dehors de leur carrière sportive sont beaucoup plus ouvertes et nombreuses ; la plupart des sportifs que je connais et qui travaillent à côté ont pu négocier un aménagement du temps de travail. Certaines sociétés deviennent même sponsor de leur collaborateur, comme à la RATP.

A l’inverse, il y a encore des athlètes de l’équipe de France qui ne sont aujourd’hui accompagnés par aucun partenaire. Outre les bourses qui ne rapportent que quelques milliers d’euros par an, ils n’ont pas de sponsors, ce qui complique leur quotidien.

Comment les entreprises t’accompagnent-elles dans ton quotidien d’athlète ?

Concernant les entreprises qui m’accompagnent, cela dépend de leur taille et bien sûr d’un feeling qui peut naître entre un athlète et les personnes humaines du côté des entreprises qui croient en nous. De cela va découler un accompagnement plus ou moins fort, et une proximité plus ou moins importante. 

Il y a des accompagnements financiers ou des dotations de matériel. Cela peut aussi être de l’aide au projet, aide humaine, organisationnelle, financière … Disons que cela peut prendre énormément de formes différentes.

Il y a aussi parfois des marques qui attendent peu en retour, mais souvent, cela va avec peu de contacts, ce qui est dommage…

Enfin, il y a les partenaires qui demandent du temps d’échange en prenant régulièrement des nouvelles, de présence via des évènements ou rencontres avec les collaborateurs de l’entreprise, ou encore de la communication sur les réseaux sociaux. Cela rend la relation très réelle et humaine.

Globalement, je suis heureuse de voir cette évolution. Au-delà du sponsoring, cela nous permet de diversifier nos contacts, de sortir un peu du milieu sportif pour voir autre chose et cela fait connaitre l’escalade à beaucoup de personnes. C’est une grosse plus-value car cela donne une crédibilité supplémentaire à la discipline et cela véhicule de belles valeurs qui sont selon moi transposables du sport au monde de l’entreprise. Et en France où le sport n’est pas forcément le plus mis en avant, je trouve que cela crée une vitrine pour se rendre compte de l’investissement des sportifs ; a contrario, cela rappelle ce qu’est le monde professionnel plus « classique » aux athlètes.

Où peut-on te retrouver prochainement sur les murs ?

Même si le projet des JO s’arrête pour moi aujourd’hui, j’ai encore toute la saison internationale avec les coupes du monde qui arrivent très prochainement ! Vous pourrez me retrouver dès ce weekend à Chamonix pour la Coupe du monde de vitesse et difficulté. Mes principaux objectifs sont les championnats d’Europe qui se dérouleront fin août en Suisse. Mais vous allez surement me retrouver en attendant en falaise en pleine nature parce j’adore ça !

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