Interview du Professeur Alexandre Mignon – Réanimateur à l’hôpital Cochin

Face à l’afflux de malades, Alexandre Mignon, réanimateur à l’hôpital Cochin (Paris), est en première ligne. Il dresse ses premières hypothèses face à la mortalité du virus.

Quelle est la situation générale dans votre service ? Comment vivez-vous cette vague d’arrivées massives de malades ?

Comme nous le savions, nous sommes encore dans l’ascension. Je ne connais pas bien les chiffres de l’AP-HP mais nous devons être à 700 malades en réanimation sur 1500 lits disponibles. Heureusement que nous avions pris de l’avance, informés par nos collègues de l’Est, nous avions déjà retardé des activités non-urgentes. Mais on se prend le mur !

Le problème majeur est celui du personnel qui commence à craquer. Beaucoup auront du mal à tenir 6 semaines. Par exemple, nous sommes aidés par des soignants d’autres services qui n’ont ni l’habitude ni l’organisation pour travailler de nuit. Comment vont-ils faire dans une réanimation qui tourne H24 ?

Il y a un vent de panique sur les sujets jeunes qui heureusement n’est pas justifié. Je m’explique : nous voyons, nous réanimateurs, chaque année des jeunes qui décèdent vite comme c’est le cas du purpura fulminant par exemple. C’est fréquent mais nous n’en parlons pas, nous échangeons juste entre nous de temps en temps. Là, on a des décès de jeunes gens sur un peu de centres et sur peu de jours. Ce n’est pas une statistique. Rappelons-nous qu’en Italie et en Chine les patients décédés de plus de 80 ans représentaient respectivement 50% et 80% des décès. Il faut donc recadrer le message et rassurer.

Il faut aussi dire que les facteurs de risques seraient génétiques. On pense aussi qu’il existe un risque lié à l’utilisation des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC ndlr) utilisés massivement dans le traitement de l’hypertension artérielle (HTA ndlr). Et quand on creuse pour les patients gravement atteints de 40 à 50 ans, ils ont tous une pathologie sous-jacente.

Alors oui, ça chauffe en Ile-de-France, ça va chauffer en province à cause des parisiens partis se confiner il y a une semaine. Mais comment leur en vouloir ? Cependant je ne suis heureusement pas sûr que nous ayons beaucoup de morts en France : 20 000 peut-être quand une épidémie de grippe chez nous peut causer 15 000 décès. Il faudra aussi parler d’autres problèmes sociétaux car ça chauffe dans les banlieues, dans les prisons ou chez les SDF. Les inégalités sont là.

Où en êtes-vous ce matin de la chloroquine ? Son utilisation va-t-elle démarrer aujourd’hui comme l’a autorisée hier le Haut Conseil ?

On suit les recommandations évidemment. Je connais très bien Didier Raoult, le patron de l’IHU Méditerranée, mais il faut attendre des travaux plus poussés. Dans les conditions actuelles, chez des patients en réanimation lourde avec une importante létalité on risque de donner de faux espoirs et même du désespoir et finalement de la honte.

De toute façon il n’y en a plus de la chloroquine. En plus, on a déjà relevé 2 intoxications à la chloroquine de personnes âgées qui étaient atteintes de COVID-19 et qui ce sont surement jetées sur des boites de Nivaquine périmées dans leurs armoires.

Qu’avez-vous déjà appris de cette pandémie ? Que devrons-nous faire à l’avenir ?

J’ai déjà appris plein de choses mais il y a un problème qu’il va falloir traiter. Nous allons devoir nous pencher sur le traitement de HTA et de son traitement par les IEC. 70% des malades que nous recevons sont traités pour HTA. En Allemagne, la prise en charge de l’HTA est différente et vous noterez qu’on meure moins en Allemagne du COVID-19. On peut aussi imaginer que les tolérances de la tension artérielle seront relâchées de manière temporaire. La question sera bientôt chez les cardiologues français qui peut-être devront arrêter de prescrire des IEC.

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