1) Bonjour et merci d’avoir accepté cette interview pour parler de l’emploi des seniors. Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter ainsi que votre structure ?
Je suis Jean Emmanuel Roux, et je suis fondateur de TeePy. Avant sa création en 2018, j’ai travaillé une trentaine d’années dans l’informatique. J’ai 58 ans, je suis donc un senior ! J’ai été licencié à 50 ans, considéré comme trop vieux, dépassé par la technologie, et trop cher. J’ai donc fait partie de ce phénomène, ce qui fait que je comprends facilement des seniors en recherche. Je n’ai pas du tout monté TeePy dans le but d’avoir une sorte de revanche, mais parce que j’avais la conviction que les seniors représentent une richesse importante pour le monde du travail. Après tout, nous avons vécu l’an 2000 et l’arrivée des nouvelles technologies.
Certains pensent que cela fait de nous une génération dépassée, mais ce n’est pas ma vision. Pour moi, TeePy était un moyen de favoriser l’inclusion des seniors sur le marché du travail et de répondre à un phénomène assez récent en France : le vieillissement de la population. Je trouve qu’on prend ce fait très peu en compte. Quand j’ai écouté le discours de François Bayrou, j’ai encore une fois noté qu’on ne mentionne pas ce problème. Les seniors seront quand même la seule population en croissance jusqu’en 2070 ! Cela va se rééquilibrer ensuite, mais uniquement parce que les baby boomers auront disparu. Aujourd’hui, avec TeePy Job ainsi que TeePy Intérim, on offre des services sur mesure à des entreprises et aux candidats seniors en valorisant leurs expériences et compétences. On les met en relation avec un objectif de valoriser la diversité des talents et de permettre aux seniors de retrouver une place sur le marché du travail. On ne travaille pas sur les seniors en emploi, uniquement sur ceux qui ne sont pas en activité.
Notre site fonctionne comme une plateforme d’emploi, un peu comme Indeed ou Hello Work. Le problème de ces plateformes “classiques” est que les candidatures des seniors sont souvent rejetées automatiquement par les algorithmes.
Sur TeePy Job, on a d’un côté des entreprises qui nous contactent pour s’inscrire et mettre des annonces ouvertes aux seniors. De l’autre côté, nous avons donc les candidats qui s’inscrivent en créant leur profil pour postuler aux annonces publiées. Quelques clients souhaitent avoir accès à notre candidathèque, mais la plupart du temps, ce sont les candidats qui vont postuler directement pour initier le contact. Nous exigeons de nos clients de contacter tous les candidats ayant postulé avec au minimum un premier échange. Si le profil ne correspond pas du tout, l’entreprise doit leur écrire pour les prévenir. En effet, la moyenne aujourd’hui du taux de réponse pour les seniors de plus de 50 ans est extrêmement faible. On s’assure donc que tous nos candidats puissent recevoir un retour.
Nous avons par ailleurs développé l’année dernière une offre Intérim. Depuis 2018, nous avons environ 155 000 candidats en recherche d’emploi sur la plateforme, et à peu près 10 000 entreprises inscrites dont certaines ne sont actives que de temps en temps. Nous avons beaucoup de TPE (78%) et de PME (20%) mais aussi quelques grands comptes (2%), comme Carrefour, Foncia, Décathlon, SNCF, etc. Cela s’inscrit notamment pour ces derniers dans le cadre d’une politique RSE d’inclusion. Ils utilisent aussi le fait de se rendre sur TeePy Job pour de la communication sur l’emploi des seniors. La plupart des TPE et PME, elles, s’inscrivent suite à un réel besoin de recrutement car elles ont des difficultés énormes à recruter, surtout de la main d’œuvre qualifiée.
2) Quelle a été votre motivation à l’origine de la création de TeePy ?
La motivation principale est de valoriser l’expérience des seniors et de faciliter leur retour à l’emploi. Il y a un blocage important là-dessus et le constat est simple : les seniors sont un réservoir de talents sous-estimé, et ils sont de plus en plus nombreux. Et de l’autre côté, nous avons 70% des entreprises qui ont des difficultés à recruter aujourd’hui. Je me suis donc dit qu’il fallait développer une plateforme pour les mettre en relation et estomper un ensemble de préjugés qui persistent en France depuis une vingtaine d’années.
3) Quels sont vos constats aujourd’hui concernant le marché du travail des seniors ? Quelles sont les évolutions notables ?
D’abord, même si on recrute des seniors, on rencontre encore aujourd’hui des DRH, des dirigeants d’entreprises qui ressentent un blocage à recruter des seniors. Mais il faut comprendre que cela va finir par être inévitable, comme c’est induit par les chiffres de la démographie. De même, au niveau du gouvernement, des mesures vont devoir être envisagées. Le taux d’emploi en France est encore insuffisant. La moyenne en Europe est de 64% pour l’emploi des seniors ; en France, ce chiffre tombe à 58%. On est donc en deçà de la moyenne et même parmi les derniers de la classe… En face, nous avons des pays comme l’Allemagne et les pays nordiques qui sont eux autour des 75% ! Dans les constats, il reste également une discrimination avec des préjugés sur l’âge en France. C’est finalement la plus grosse barrière à l’avancée de l’emploi pour cette catégorie. On se rend compte que beaucoup d’entreprises refusent encore de rencontrer des candidats de plus de 50 ans en entretien et ne se risquent même pas à faire le test sur quelques mois.
Il y a par ailleurs toujours un déficit de formation. Globalement, dans la vie professionnelle, on a droit à un cursus de formations qui nous aident à évoluer. Malheureusement, après 50 ans, il n’y a plus grand chose… Cela fait partie des éléments qui rendent l’emploi des seniors difficile.
Il y a aussi les bénéfices que nous mettons en avant auprès des entreprises. Les seniors, c’est la stabilité et l’expérience. Les entreprises, on le sait, ont aujourd’hui des difficultés à recruter mais doivent en plus faire face à un taux de turn over très important. Alors que le senior recherche la stabilité et la longévité, il va être moins enclin à bouger même si d’autres opportunités s’offrent à lui. On essaye d’expliquer aux entreprises qu’il y a une vraie richesse à créer des équipes intergénérationnelles. Les seniors ont tous à apprendre des plus jeunes, comme les jeunes des seniors ! Et personne n’est contre ; c’est plutôt le contraire. C’est ce qu’on essaye également de mettre en avant chez TeePy.
En ce qui concerne la réforme des retraites, j’étais convaincu qu’elle allait favoriser l’emploi des seniors. En effet, quand ils l’ont présentée, c’était bien entendu pour repousser le départ à la retraite à 64 ans, mais aussi pour remédier au taux de chômage des seniors. Aujourd’hui, 28% des personnes inscrites à France Travail ont 50 ans et plus.
Et donc, il y avait eu mention d’aides, de réductions de charges, de plans, etc. Tout a été rangé dans des tiroirs et la seule loi qui a été votée est l’âge de départ. Les entreprises s’attendaient à des aides gouvernementales pour accompagner cette réforme, mais elles ne sont jamais venues. Cela n’a donc pas aidé l’emploi des seniors. Aujourd’hui, j’ose espérer que le conclave sur l’emploi et la réforme des retraites va prendre en compte ce point-là. Quelque part, c’est de la folie d’exiger deux ans de plus alors que sur la tranche des 60 – 64 ans, deux tiers sont sans emploi. Il aurait été plus logique d’opérer le contraire en réfléchissant d’abord au retour à l’emploi des seniors.
L’emploi des seniors est quand même en légère augmentation, mais cela reste très difficile, notamment pour la tranche des 55 – 64 ans.
4) Aujourd’hui, pensez-vous qu’il est plus dur de trouver un emploi quand on est « jeune » ou « vieux » ?
On se rend compte qu’en France, il y a deux populations critiques en ce qui concerne l’emploi : les moins de 25 ans et les plus de 50 ans. Chez TeePy, nous travaillons en partenariat avec France Travail, et nous nous sommes rendu compte dans les analyses que chez les jeunes, il y a davantage d’aides gouvernementales. A partir du moment où il y en a, beaucoup moins de juniors sont au chômage. En revanche, quand ces mêmes aides s’arrêtent, leur taux de chômage remonte.
On pourrait faire face à un certain engouement et intérêt des entreprises à les recruter si des aides étaient débloquées pour les seniors. Je pense en tout cas que cela pourrait faire beaucoup pour l’emploi de cette catégorie, plus que l’avancée naturelle !
5) Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui font partie de la catégorie « senior » et cherchent actuellement un nouveau poste ?
Je rencontre régulièrement des seniors, notamment lors de présentations que nous organisons avec France Travail pour ceux qui n’arrivent pas à retrouver un emploi. Et la première chose qui me paraît importante, c’est de les remotiver. Souvent, ils sont complètement découragés et énormément de personnes sont persuadées qu’elles ne valent plus rien sur le marché du travail et que les entreprises ne veulent plus d’elles. Ce sont des gens qui ont vécu beaucoup d’échecs, de non-réponses, des espoirs qui n’ont finalement abouti à rien… Je dirais donc qu’il faut déjà reprendre confiance en soi, et toujours rester extrêmement positif. Et bien sûr, apprendre à bien mettre en avant ses atouts. Ils ont un savoir-être, un savoir-faire, et une maturité à valoriser.
Un autre point important : adapter son CV ! Ils doivent justement mettre bien en relief tous ces points positifs acquis grâce à leurs années d’expérience et, quelque part, cibler en priorité les entreprises qui ne sont pas regardantes vis-à-vis de l’âge. Il faut identifier les structures ouvertes aux seniors comme nous en avons sur TeePy, et prioriser les offres postées par ces dernières. Il est bien plus simple de convaincre quelqu’un qui est déjà ouvert au recrutement des seniors.
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