Interview – Ronan Le Bris, DRH Zeiss Vision Care France

1) Bonjour Ronan. Pour cette nouvelle édition de Resource, Serendip souhaitait aborder un serpent de mer qui fait partie de notre démarche RSE : l’employabilité des seniors en France. On en a évidemment parlé lors de la réforme des retraites, mais il ne se passe rien. 41% des plus de 55 ans ne travaillent plus. Ce taux est de seulement 17% pour la tranche d’avant. Comment réagissez-vous face à ces données ?   

En tant que DRH, je vois bien que les choses sont en train d’évoluer. Les gens qui ont plus de 60 ans sont plus nombreux en entreprise qu’auparavant. Au début de ma carrière, beaucoup de collaborateurs partaient en préretraite progressive AS-FNE ou totale dès 57 ans. Il n’y avait quasiment aucune personne de plus de 60 ans dans les entreprises.
Aujourd’hui, la question ne se pose plus du tout de la même manière. Chez Zeiss Vision, cela ne nous concerne même pas. Nous avons une population de plus de 60 ans mais aussi des 55 – 60 ans nombreux, et qui s’expliquent notamment par nos périodes de croissance mais également par l’évolution de la société. Nous avons beaucoup recruté à certains moments, moins à d’autres mais globalement, environ 25% de nos collaborateurs ont entre 55 et 60 ans. 

2) C’est donc davantage lié à la démographie ainsi qu’au business d’une époque donnée plutôt qu’à une stratégie. 

Tout à fait. Ce qui est intéressant par ailleurs, c’est de voir que ces gens-là, recrutés il y a longtemps, sont toujours présents. Aujourd’hui, malgré le fait que Zeiss soit une entreprise industrielle, elle garde ses seniors jusqu’au bout. Après, nous mettons en place des dispositifs qui permettent de faciliter leur fin de carrière comme le temps partiel aidé. Ils se sentent bien chez nous. J’ai des collaborateurs qui restent jusqu’à 64 ans en équipe de nuit, à qui nous avons proposé de partir car ils ont ces droits, mais ils préfèrent rester. 

3) Vous parliez de dispositifs. Lesquels avez-vous mis en place chez Zeiss Vision ? 

Chez Vision, cela fait environ 15 ans que nous avons un accord d’entreprise sur la gestion des seniors. Au début, c’était lié à la GEPP (Gestion des emplois et des parcours professionnels, anciennement GPEC) et nous avions donc introduit des dispositifs qui permettaient aux collaborateurs de diminuer leur temps de travail en passant à 80% – rémunéré à 85%, et pour certains jusqu’à 50% – rémunéré à 65%. C’était une solution bien perçue et même si finalement une minorité y a fait appel, le simple fait de savoir qu’ils pouvaient y avoir droit leur plaisait bien. 
On a d’abord eu des temps de diminution du travail sur la semaine pour alléger la charge hebdomadaire. On a ensuite proposé quelque chose de plus souple pour une organisation sur le mois, sur l’année, ou sur la période du temps partiel accordée. Au début, on leur permettait en effet de faire ça sur les 5 dernières années. Mais comme notre effectif de salariés qui pouvaient en bénéficier ne cessait de croître, nous avons finalement réduit ce droit aux 3 dernières années – les coûts pour l’entreprise devenaient trop importants, notamment avec le maintien des cotisations des retraites sur la base d’un temps plein. Et ce dispositif est très apprécié des collaborateurs. Nous avions aussi proposé d’autres solutions pour aménager leur temps de travail, en passant de l’équipe de nuit à celle de jour par exemple. Mais jamais un collaborateur ne nous a fait cette demande ! On leur a également proposé de pouvoir prendre leur indemnité de départ en retraite sous forme de temps. En effet, ils peuvent parfois partir jusqu’à 6 mois avant, selon leur ancienneté chez nous.
Nous avons donc développé des dispositifs qui ont été pensés pour les aider sur la fin de leur carrière. Ce qu’ils apprécient particulièrement, c’est que dès 57 ans, on leur organise un rendez-vous avec un conseiller d’un organisme de retraite. Cela leur donne une vision claire sur leurs perspectives et sur les dispositifs auxquels ils ont droit. 
Il faut savoir qu’en plus, nous ne sommes pas sur un bassin d’emploi chahuté. Sur nos sites comme Fougères (Bretagne), c’est le plein emploi. Nous sommes sur des territoires industriels et c’est une grande chance. Le taux de chômage y est depuis longtemps autour de 4 – 5%. Au plus haut, quand je suis arrivé en 2009, nous étions à 9%, mais cela n’a pas été au-delà. La situation n’est pas la même que dans l’est ou le nord de la France. 

4) On a parlé de la rétention des collaborateurs au sein de l’entreprise, mais qu’en est-il du retour à l’emploi ? Les seniors qui ne sont pas en poste n’arrivent pas à revenir. Y a-t-il des choses qui sont faites ou que vous avez observées ? 

Là-dessus, je ne vais pas vous apporter de véritables réponses car nous n’avons rien expérimenté. Notre structure démographique nous pousse plutôt à aller chercher des juniors pour justement essayer de rajeunir un peu notre pyramide des âges.Compte tenu de notre structuration, nous avons effectivement une entreprise de seniors ; on en recrute donc peu. On fait d’ailleurs actuellement face à cette problématique de renouvellement démographique car beaucoup de collaborateurs vont partir à la retraite dans les trois à cinq prochaines années.

5) En tant que DRH, quels conseils donneriez-vous aux personnes seniors qui nous lisent et qui font partie de ces 41% qui n’arrivent pas à être recrutés ? 

Avoir aujourd’hui 55 ans, dans notre structure du moins, n’est en aucun cas un critère discriminant. Même si on peut se poser la question de la maîtrise des nouvelles technologies par les seniors, l’âge pour moi ne veut plus trop rien dire. Chez Zeiss, on ne demandera pas à un senior d’être l’expert de ces outils-là, car nous avons déjà des collaborateurs qui y sont dédiés. Mais sur pleins de postes, il n’aura aucun problème à s’intégrer. 
Ce que j’observe, c’est l’évolution des structurations démographiques à l’intérieur des organisations entre il y a 30 ans et aujourd’hui. Chez Zeiss et au sein de toutes nos différentes structures, c’est pareil. Nous avons une pyramide des âges qui s’étire sur une plage bien plus large. Je reste donc confiant sur la capacité progressive des entreprises à intégrer des seniors de 55 ans et plus. 
Il y a bien sûr des personnes qui restent réticentes à embaucher des seniors, mais chez nous, ce ne sont pas elles qui ont le dernier mot. Dernièrement, nous avons par exemple recruté des déléguées commerciales de plus de 50 ans ; ce ne sont peut-être pas des profils à qui on pense en premier, mais le directeur commercial lui n’est pas du tout regardant sur l’âge. Son seul critère, c’est de regarder les compétences. 

6) Y a-t-il des dispositifs mis en place chez Zeiss pour que les plus expérimentés puissent transmettre aux plus jeunes ? 

Il faut avant tout que ce soit des gens qui aient cette appétence pour la transmission. Et ce n’est pas du tout le cas pour tout le monde. C’est un peu un lieu commun à mon sens.
En revanche, ce qui est très intéressant, c’est de privilégier au sein des organisations des équipes intergénérationnelles. J’en parlais avec une collaboratrice qui avait organisé une formation de maître d’apprentissage pour nos tuteurs. Durant cette formation, il y avait à la fois des personnes de 55 ans et des jeunes de 25 ans. Et elle a trouvé cela tellement riche ! Avoir une population variée au sein d’une même pièce pendant deux jours lui a donné envie d’être d’autant plus vigilante sur la diversité de ses futures formations. Cela enrichit vraiment le débat et c’est ce qu’on essaye généralement de faire chez nous, au sein des équipes. Depuis que je suis chez Zeiss, je n’ai jamais ressenti d’ostracisme que ce soit contre les jeunes ou les seniors. Au contraire, les populations vivent ensemble. 

7) Dernière question sur la réforme des retraites : c’est un sujet assez clivant actuellement, et on sait que ses défenseurs mettent en avant le fait que cela va favoriser l’emploi des seniors, et ainsi baisser le taux de chômage des personnes de plus de 55 ans. Que pensez-vous de cette hypothèse ? 

Je la confirme. Cela avait même commencé avant son arrivée.
La réforme Touraine (2014) exigeait déjà un nombre de trimestres plus important qu’auparavant pour pouvoir accéder à la retraite. Et de ce fait, l’âge des départs avait déjà  reculé. Je trouve que c’est positif car cela peut faire évoluer les manières de percevoir le temps. On se prépare à vieillir, on programme son départ à la retraite et si les gens savent qu’ils doivent maintenant rester jusqu’à 62, 63 ou 64 ans, ils vont peut-être se sentir “vieux” plus tard. En entreprise, on réfléchit bien sûr à des évolutions liées à ces nouvelles durées. A titre personnel, nous n’avons jamais fait de discrimination sur l’accès à la formation par exemple, on continue à former nos collaborateurs jusqu’à la fin de leur carrière. Mais c’est aussi aux entreprises d’être capable de proposer des aménagements : j’ai moi-même 60 ans, et je sens que je fatigue plus facilement. C’est à nous d’offrir des solutions pour répondre aux mieux à ces changements. 
Nous avons par ailleurs mis en place un programme de mécénat de compétences. Cela permet à des collaborateurs d’être mis à disposition d’associations sur une période donnée et c’est une belle transition vers la retraite.

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