Interview : Samuel, interne en anesthésie-réanimation

  • Bonjour. Tout d’abord, merci d’avoir accepté cet échange. Pourriez-vous dans un premier temps vous présenter ainsi que votre parcours ?

Je m’appelle Samuel, j’ai 26 ans. Je suis interne en anesthésie-réanimation. J’ai obtenu mon Bac Scientifique avant d’hésiter longuement entre deux choix de carrière. J’ai toujours aimé les sciences, de la biologie en passant par la physique. Je suis aussi fasciné par le monde aéronautique. J’hésitais avec pilote de chasse, mais cela nécessitait que je m’engage dans l’armée. Je me suis finalement orienté vers la médecine. J’ai doublé ma première année. J’ai échoué de très peu puisque de toutes les spécialités du concours (kiné, dentaire, pharma,…), il me manquait juste la médecine, la plus dure à obtenir. J’ai légitimement hésité à partir sur le dentaire car j’avais un peu souffert. Mais je me suis dit que j’étais jeune, que je commençais à peine et que j’étais ici pour faire médecine. Je ne voulais pas me laisser avoir par la facilité et la fainéantise. Et déjà à l’époque j’étais intéressé par le métier d’anesthésiste réanimateur.

J’ai refait une année de médecine qui s’est très bien passée, d’autant que j’avais raté la première de 15 places seulement. Ensuite, dans le cursus médical, la seconde et troisième années forment un tronc commun plus léger. Cela m’a permis d’avoir des jobs étudiants pour être indépendant financièrement. J’ai travaillé en tant qu’aide-soignant et infirmier, j’ai ainsi pu assister à toutes les étapes des processus de soins. Puis il y a l’externat durant lequel on devient officiellement salarié. On est payé, même si cela reste très symbolique (entre 300 et 400€ par mois). J’ai ensuite passé le concours de la 6ème année. Il s’agit d’un classement national. Le premier choisit ce qu’il veut et le dernier, ce qu’il reste. Mon classement m’a donc permis d’avoir la spécialité que je souhaitais : l’anesthésie-réanimation.

Depuis quatre mois, je travaille à l’hôpital à temps plein. Nous ne sommes pas encore docteur mais nous sommes quand même médecin. On y a une vraie place car les hôpitaux ne peuvent pas réellement fonctionner sans internes. D’un coup, c’est beaucoup de nouvelles responsabilités et de nouvelles tâches. J’y suis pour au moins 5 ans. Après cela, je pourrai travailler en tant que Senior. Je suis très content de ce que je fais !

  • Aviez-vous mesuré l’engagement que votre stage allait nécessiter lorsque vous vous êtes lancé ? Vos proches ont-ils un avis sur votre « style de vie » actuel ?

Je m’en suis rendu compte dès la première année. J’ai rapidement vu qu’il restait cinq ans derrière les livres avant de réellement pouvoir toucher un patient. On se rend aussi rapidement compte de la chance qu’on a d’être ici. Et encore plus quand on a du soutien, de la famille qui nous permet de suivre ce cursus. En tout cas, c’est comme ça que je le vois. On fait partie d’une certaine minorité et cela demande du coup plusieurs types d’engagement : moral, financier et personnel. C’est un rythme de vie particulier car on se met involontairement dans une bulle. Dans beaucoup d’étapes de notre formation, comme en première année, on s’isole avec des gens qui font comme nous. Le positif, c’est qu’ils finissent souvent par devenir des amis proches. En externat, on se retrouve ensuite à travailler ensemble, ce qui est sympa. Du coup, nous avons le même rythme de vie et le même objectif. On partage beaucoup de choses.

J’ai par ailleurs fait en sorte de garder des proches qui ne sont pas dans le médical, que je me force à voir régulièrement, même si c’est compliqué. Ils savent très bien que mon rythme est très changeant et que durant certaines périodes, je pourrai être très peu présent. Mais ils savent aussi qu’aux moindres vacances et périodes creuses, je fais en sorte de les voir. Et c’est très important pour moi d’avoir un entourage varié car cela permet de garder l’esprit ouvert, d’avoir un autre champ de vision de la société. Entre médecins, on a forcément des divergences, mais beaucoup moins qu’avec le reste de la population.

Par exemple, dans le corps médical, il y a moins de 1% d’anti-vaccins. C’est négligeable. Alors que dans la population générale, il y en a quand même plus. Dans mes proches, j’en ai, et cela me permet d’avoir d’autres sons de cloche sur des sujets sociétaux.

  • Quelle est pour vous la part de sacrifice et la part de plaisir dans l’exercice de votre profession ?

J’ai la chance de faire de l’anesthésie-réanimation. Dans cette spécialité-là, on peut voir le métier de médecin sur plusieurs pans : celui qui prodigue simplement des soins, mais aussi l’expert qui a un œil aguerri sur le patient dans sa globalité : on ne prend pas un patient en charge de la même manière selon son profil : sédentaire ou actif, jeune ou plus âgé, homme ou femme…

Aussi, je retrouve dans mon exercice la réponse à des questions existentielles que je me pose à titre personnel. Je pense aux débats éthiques qu’il y a en réanimation. Ces sujets qu’on peut aborder autour d’un verre, j’ai la possibilité de les voir concrètement dans le cadre de mon métier, et cela me plait.

L’anesthésie permet par ailleurs d’avoir une vision très utilitariste du métier. Je prends l’exemple d’un manutentionnaire qui se casse le bras. Il est en arrêt maladie, passe une radio et une intervention chirurgicale est alors programmée. Il sort le lendemain avec une attelle et peut de nouveau travailler quelques jours après, alors qu’une absence de prise en charge aurait pu aboutir à un déficit permanent ! Ce service rendu à la société est très gratifiant : à titre personnel car je suis utile, mais aussi de voir l’effet immédiat des soins que je peux prodiguer.

Pour la part de sacrifice, je dirais qu’il y a la grande responsabilité que nous avons envers nos patients. En effet, en réanimation, il faut avoir un œil assez aiguisé pour prodiguer les soins optimaux, car plein de choses ne s’apprennent pas dans les livres mais plutôt au prix d’une expérience nécessitant une proactivité quotidienne. Dans l’anesthésie, il faut être très en permanence à 100% de ses capacités cognitives car c’est un métier à risque. Et de manière générale, le métier de médecin est assez particulier car on ne s’arrête jamais de travailler. Même quand on est chez nous, on continue d’être médecin car on peut être rappelé. Et au-delà de nos journées de travail, on doit continuellement se former, se documenter pour prendre en charge au mieux nos patients. Je dirais donc que la plus grande part de sacrifice, c’est que cela ne s’arrête jamais. Lorsqu’on me demande « Quand vas-tu finir tes études ? », je réponds souvent « jamais ».

  • Où puisez-vous toute l’énergie nécessaire pour tenir votre rythme ?
    Est-ce une cadence que vous pensez pouvoir tenir toute votre carrière ?

Cela marche beaucoup par cycles et même d’un jour à l’autre. Cela dépend de la structure de l’exercice – car je change tous les six mois. Aussi, il y a plus de patients en réanimation l’hiver car il y a plus d’infections pulmonaires par exemple.  

Après, je suis actuellement en internat mais quand je serai chef, je pourrai plus facilement moduler mon mode d’exercice. Mais nous ne sommes pas à plaindre. Il n’y a rien sans rien, notamment quand on veut bosser dans un milieu intéressant. Par exemple, les gens se bousculent pour travailler en cardio-vasculaire. Il y a beaucoup de boulot et quelque part, c’est ce qu’on cherche. Si on y va pour se tourner les pouces, cela n’a pas de sens.

Au niveau de l’énergie, c’est une bonne question. Selon moi, elle vient de pleins de facteurs différents. On ne peut pas juste se dire « je me lève et je vais au travail ». Cela ne tient pas sur le long terme.

Déjà, je pense que les conditions dans lesquelles on travaille sont très importantes. Une équipe médicale soudée, bien managée et avec une bonne ambiance permet de tenir plus longtemps et de manière beaucoup plus qualitative. Il faut aussi avoir de bons moyens pour ne pas être limité par son environnement. Cela donne envie de travailler. Et quand il y a l’envie, je pense que la question de l’énergie devient secondaire. Le travail devient plaisir.

Il y a le travail alimentaire, le travail vocation et je dirais qu’il y a une troisième forme, qui est particulièrement tendance chez les jeunes aujourd’hui : j’ai des proches qui travaillent beaucoup et qui diminuent leur consommation pour mettre de l’argent de côté pour ensuite ne pas travailler pendant 6 mois. Souvent, ce sont des gens qui ne sont pas dans le moule du système. Personnellement, je pense qu’il faut un peu aller dans le sens de ce dernier : travailler pour gagner sa vie, et à côté, se trouver une passion, un équilibre personnel pour être heureux. Et il faut respecter l’équilibre de chacun : tout le monde n’est pas heureux en courant derrière le travail ! Il faut rester réaliste : il n’y a pas de métier parfait. A titre personnel, c’est en faisant des sacrifices que je peux réellement donner un sens à ce que je fais. Ce n’est pas en m’émancipant de toutes contraintes que je vais réellement être heureux. Car si je fais ça, je ne me battrai pour aucune cause.

  • Enfin, que pensez-vous du  « les jeunes ne font plus rien » ? Avez-vous aujourd’hui conscience que vous êtes à contre-courant ? 

  Déjà, je pense qu’à chaque génération, il y a des traits communs et des débats éternels : « c’était mieux avant ». J’ai échangé avec des personnes âgées et déjà à leur époque, on disait que les jeunes ne faisaient rien. Et de manière indéniable, il y a une mutation sur la façon de travailler qui existe. Mais je pense qu’il y a aussi une déformation de la réalité. Je fais le parallèle avec les personnes anti-vaccins. On a l’impression qu’il y a une grosse majorité de la population qui l’est alors que ce n’est pas le cas. De la même manière, je pense que les jeunes qui ne travaillent pas sont peut-être plus bruyants que ceux qui bossent.

Je pense aussi qu’il y a une vision utilitariste où les jeunes tirent profit de l’économie de marché actuelle pour subvenir simplement à leurs besoins, et que certains ne sont politiquement pas d’accord avec ce fonctionnement. Il y a aussi des jeunes qui sont « traumatisés » de la conjecture économique. Et de ce fait, une tendance qui s’en dégage est que les jeunes sont beaucoup plus obsédés par l’argent aujourd’hui. Ils travaillent énormément, mais pour avoir plus. Comme beaucoup d’éléments dépeignent un tableau assez noir après 2030, avec l’anxiété écologique par exemple, pleins de jeunes ont justement envie de s’émanciper de ce risque en ayant de l’argent. Alors on dit peut-être que les jeunes ne font plus rien mais en tout cas, il y en a qui font beaucoup et qui entreprennent, investissent,… Je peux aussi prendre le contre-pied et raisonner autrement : comme je vais bien gagner ma vie, en tout cas bien assez pour survivre, je peux aussi ne travailler qu’une semaine par mois. Et je pense qu’il y a aussi des jeunes qui cherchent à optimiser leur temps. J’ai un ami soudeur sous-marin qui gagne très bien sa vie. C’est un métier qui n’est pas du tout présent dans l’imaginaire collectif à l’inverse de celui de médecin. Pourtant, c’est quelqu’un de très utile, qui prend beaucoup de risques et est donc payé en conséquence. Il part sur des missions de plusieurs jours mais en général, il n’en fait qu’une par mois. Le reste du temps, il ne travaille pas.

Et je vous ai parlé de ma vie pro, mais j’ai également des activités à côté. Le sport, la marche au moins 30 minutes par jour (vous le mettrez bien dans la Newsletter !),… Avoir un métier prenant n’empêche pas d’avoir des hobbies et une vie de famille. C’est un équilibre à avoir, entre le travail, les proches, etc.  

Du coup, je n’ai pas la sensation d’être à contre-courant ! Déjà, « travailler beaucoup » est relatif. On peut bosser 10h sur quelque chose d’inintéressant comme 70h sur un truc passionnant et cela revient au même, à mon sens. Et j’ai certes un métier vocation, mais je reste conscient que c’est un travail qui me permet financièrement d’avoir d’autres choses à côté : partir en voyage, faire du parapente, passer ma licence privée de pilote d’avion… Je peux joindre les deux pans de ma vie grâce à cela !

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