Interview de Sebastien Woynar, Director LBO France

Comment se présente le marché français de la santé digitale aujourd’hui ? Qu’est-ce qui le caractérise ?
Le marché Français de l’e-santé, ou plus globalement de la santé digitale présente cinq grands éléments positifs. Premièrement, il y a un réel besoin, tiré par un système de santé et de recherche biomédicale qui doit se transformer pour faire face aux enjeux démographiques et des maladies chroniques associés en parallèle à une nécessaire maîtrise médicalisée des coûts. Deuxièmement, il y a une réelle volonté politique, notamment par la position du Président de la République et du rapport de Cédric Villani sur l’Intelligence Artificielle qui comporte une partie importante dédiée à la santé. Troisièmement, la France est dotée de compétences techniques et médicales parmi les meilleures du monde. En particulier, la santé digitale, et notamment pour sa composante d’Intelligence Artificielle, repose sur le dialogue scientifique entre mathématiques et médecine, compétences françaises internationalement reconnues. Quatrièmement, la France est capable, de part sa gouvernance administrative centralisée, de déployer à l’échelle nationale des projets de transformation, comme c’est le cas actuellement sur la téléconsultation. Enfin, l’accès aux capitaux publics (comme la BPI) et au capitaux privés (comme LBO France) permettent aux start-up françaises de se développer en France et à l’international.
Mais le marché français de la santé digitale présente également des côtés plus contrastés. Tout d’abord une structure de financement, à l’acte, qui n’encourage pas les producteurs ou financeurs de soins à internaliser des outils digitaux pour améliorer la qualité des soins ou leur efficience. Nous pouvons espérer qu’une transition vers un financement au parcours ou à la qualité permettra aux acteurs de considérer les investissements en santé digitaux non seulement comme nécessaires pour leurs pratiques mais également ayant un retour sur investissement. Par ailleurs, la France reste un petit marché à l’échelle mondiale. Il faut donc prendre conscience que les start-up vont viser une expansion internationale. L’écosystème français doit donc s’ajuster pour permettre un transfert de start-up de la France à l’international et créer encore plus d’emplois en France. Il est très peu probable d’avoir des licornes (ndlr : startup valorisée à plus d’un milliard de dollars) française en santé digitale si les start-ups n’ont qu’une activité en France.

Quels sont les défis de la santé digitale française ?
Aujourd’hui, les Etats-Unis détiennent 50% du marché de l’e-santé, l’Asie-Pacifique 25% et l’Europe 25%. La France en détient 5%. Pour les sociétés françaises, la concurrence est internationale, donc il faut avoir une stratégie innovation qui prenne en compte les marchés internationaux et ce que font les entreprises étrangères.
Cette réflexion stratégique à l’échelle internationale doit aussi s’appliquer à l’Etat français. Le défi Français est donc de faire des choix politiques, financiers et administratifs stratégiques pour que la France ait un rôle à jouer, via l’ensemble des acteurs de santé, sur la scène internationale. Et de ne pas subir la pression des pays qui seront plus souples sur ces points. Si la France n’est pas en mesure de bénéficier des données de ses citoyens pour améliorer le système de santé et de permettre à des start-up d’innover (le tout en respectant la confidentialité et la sécurité), elle prend le risque que les patients confient leurs données ailleurs. Je trouve que ce point est trop peu abordé dans les débats actuels, mais il est pourtant essentiel sur le long terme et pour les générations futures.

Qui sont les startups françaises e-santé les plus innovantes ?
Nous pouvons citer par exemple Biomodex (incubée par Dassault, ndlr). Ils prennent des données d’imagerie en point d’entrée et réalisent une impression 3D d’un organe. Dans le cas d’un anévrysme de la carotide par exemple (ndlr : déformation d’une artère du cerveau), le médecin neurovasculaire peut s’entraîner avant une opération compliquée, sur l’impression 3D. La qualité de cet entrainement pré-opératoire en vie réelle est augmentée par le fait que Biomodex arrive également à simuler le flux sanguin cela permet d’augmenter l’efficacité et la sécurité du geste chirurgical.
La seconde qui me vient à l’esprit est Wandercraft qui conçoit des exosquelettes pour les paraplégiques. Cet exosquelette permet aujourd’hui d’épauler les soignants qui rééduquent les patients dans les hôpitaux et cliniques. Et demain (le plus tôt possible, nous l’espérons), Wandercraft contribuera à rendre les personnes plus autonomes. La fonction d’utilité sociale pour cette start-up française est immense.

Peut-on travailler en nomade dans le secteur de l’e-santé ?
Oui, notamment pour certains profils techniques. Par exemple, les start-ups ont besoin de développeurs informatiques spécifiques que l’on ne trouve pas forcément partout en France. C’est un métier qui se réalise bien à distance. L’enjeu est de transformer la manière de manager.

Leave a Reply

Your email address will not be published.

Share This

Copy Link to Clipboard

Copy