Trois questions à Alexis Lévrier, spécialiste de l’histoire du journalisme, maître de conférences à l’Université de Reims

« Les journalistes ont rapidement vu les failles du discours rhétorique du Président de la République »

Que peut-on dire de la couverture médiatique française durant cette crise sanitaire inédite ?

Du côté des médias audiovisuels, c’est toujours pareil, ils sont monomaniaques. Dès qu’il y a une grosse actualité, ils se polarisent sur cette actualité. Ils ne sont que le miroir de nos propres préoccupations. Mais ils ont su jouer le rôle pédagogique sur l’explication des gestes barrières. Et surtout, la télévision a montré que, contrairement à ce que certains disent, elle n’est pas morte. Les JT enregistrent de très bons scores et les chiffres d’audiences face aux allocutions du Président de la République sont historiques (le 17 mars, 35,3 millions de personnes ont suivi l’allocution d’Emmanuel Macron – portant sur les nouvelles mesures de confinement pour lutter contre le coronavirus – c’est 96,1% de part d’audience).

Du côté de la presse écrite, je suis agréablement surpris. Je la trouve de qualité. En effet, généralement lors des crises, la presse a tendance à épouser le discours gouvernemental. Et d’ailleurs en France, il est de tradition de pardonner aux pouvoirs publics leurs discours mais beaucoup moins aux journalistes, ce qui crée un climat de suspicion envers les médias. Avec la crise sanitaire actuelle, les journalistes ont rapidement vu les failles du discours rhétorique du Président de la République et du gouvernement. Par exemple, dans Le Monde, la journaliste Ariane Chemin interview l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn. La candidate LREM pour les municipales à Paris dit avoir “averti” l’exécutif de la nécessité d’un report des municipales, sans avoir été écoutée.  C’est une preuve de la qualité journalistique que nous rencontrons actuellement.

En ce qui concerne la pénurie de masque, le discours du gouvernement, il est certain que la presse a réellement joué son rôle de quatrième pouvoir pendant cette crise sans céder à la tentation d’union nationale. 

Selon une étude Kantar, Les Français consomment de plus en plus les médias pendant le confinement – 81% des Français ont augmenté leur consommation d’au moins un média depuis le confinement – et pourtant les fausses informations n’ont jamais été aussi importantes : comment expliquer ce phénomène ? 

Depuis la période des Gilets Jaunes il y a eu une méfiance profonde envers les médias. À l’heure actuelle on observe ce prolongement. Une crise bouscule nos certitudes et crée la tentation de se “ré-informer”. Le risque, c’est bien évidemment de se noyer dans les fausses informations. Et ça peut aller loin, on pense par exemple au présentateur Cyril Hanouna le lundi 6 avril. Il annonce en direct dans son émission que les mesures de déconfinement prévues par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 devraient débuter le 4 mai. Une « information » tirée d’une carte largement diffusée depuis quelques heures sur les réseaux sociaux. Heureusement, depuis la période des Gilets Jaunes, les réseaux sociaux travaillent davantage à contenir la diffusion de ces fake news.

Mais les gens ne sont pas bêtes, ils savent qu’ils ont besoin d’avoir accès à des informations justes. Ils savent aller vers une presse reconnue. Je suis agréablement surpris de voir que les journalistes de la presse quotidienne régionale ont regagné leurs lettres de noblesse auprès des lecteurs en distribuant des masques, en publiant la liste des commerces ouverts. Il y a un lien, perdu pendant la dernière crise, qui se crée à nouveau entre journalistes locaux et lecteurs.

Pour faire face aux fausses informations, sur le site du gouvernement une plateforme “désintox” recense désormais certains articles jugés “sûrs et vérifiés”. Que pensez-vous de cette initiative ? 

C’est peut-être une initiative sincère mais c’est complètement contre-productif. Quand l’Etat donne le sentiment qu’il trie les bonnes sources d’informations et les mauvaises, cela alimente les thèses complotistes. Mais surtout ça vient renforcer le soupçon de collusion entre les pouvoirs publics et les médias et ça jette le discrédit sur d’autres médias. Je crains que certains fantasmes, comme un soi-disant “ministère d’informations” resurgissent…

Cette initiative montre également la relation compliquée entre le gouvernement et les médias. Il n’y a, par exemple, eu aucune conférence de presse avec le Président de la République pendant cette crise. Une seule conférence dite “de presse” s’est déroulée avec Edouard Philippe, et encore il n’y avait qu’une journaliste…  

Enfin, on observe que les déplacements d’Emmanuel Macron se font sans invitation à la presse.

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